À l'affiche d'Une folie de Sacha Guitry, Lola Dewaere fait carton-plein sur les planches. La "fille de" a réussi à s'émanciper de son nom, de son passé surtout, pour en faire une force et aujourd'hui un métier dont elle a toujours rêvé – malgré le poids qui l'accompagnait. Dans une passionnante interview accordée à L'Express et à Christophe Carrière – qui a écrit une biographie sur Patrick Dewaere –, la jolie jeune femme de 36 ans fait le point sur sa vie et revient sur les grands chapitres de son enfance, jusqu'à aujourd'hui.
Sans fard, elle évoque "une période chaotique" pour qualifier son enfance. Elle a 2 ans et demi lorsque son père, l'un des plus talentueux et controversés acteurs de sa génération, se tire une balle dans la tête. "Je n'ai pas grandi avec ce discours qu'on tient généralement aux enfants, genre, 'ton papa est parti au ciel, il est avec les anges'. Et cela ne m'a pas traumatisée", assure l'actrice dont la mère, Elsa Chalier, se chargera de lui expliquer sans réel filtre. Pourquoi a-t-il fait ça ? "À partir du moment où il n'a pas laissé de lettre, c'est difficile à dire", explique-t-elle. Pour certains, la menace de ne plus jamais voir sa fille brandie par Elsa aurait été la goutte d'eau. "Je me suis dit, vers 10 ou 11 ans, qu'il ne nous aimait peut-être pas assez, ma mère et moi, pour choisir comme ça de s'en aller", poursuit-elle.
Mon père, héroïnomane, l'avait entraînée dans ses addictions, dont elle tentait alors de décrocher. Je la voyais se bourrer de méthadone, des petites pilules roses qu'elle dépiautait chaque matin.
De sa mère, il en sera justement longuement question. Son véritable traumatisme, c'est elle, ou plutôt les nombreuses séparations qui ont suivi. Lola vit chez ses grand-parents maternels, et Elsa vient lui rendre visite de temps à autre. Chaque au revoir est un déchirement. "Je me souviens de sa voiture qui s'éloignait sur un grand chemin, je courais après comme une folle, jusqu'à tomber et m'écorcher les genoux. C'était l'enfer", se souvient-elle. Du coup, Lola s'interroge, elle se demande pourquoi elle ne mène pas une vie normale, comme ses copines, même lorsqu'au collège, elle part enfin vivre avec sa mère qu'elle qualifiera d'ailleurs de "complètement déséquilibrée". Sans mâcher ses mots, elle parle d'une femme qui n'a "jamais été très sympa avec les autres", une solitaire droguée. "Mon père, héroïnomane, l'avait entraînée dans ses addictions, dont elle tentait alors de décrocher. Je la voyais se bourrer de méthadone, des petites pilules roses qu'elle dépiautait chaque matin. J'ignorais ce que c'était – elle me disait que c'était contre le mal de tête. J'ai aussi compris qu'il n'était pas simple de perdre un mari à 22 ans, de se retrouver criblée de dettes vu que mon père n'avait jamais payé ses impôts, d'être virée de sa maison", raconte la comédienne, qui évoqué "un chaos total".
La nourriture devient alors un exutoire ou un réconfort. Et là encore, sa mère "s'en fout" et ne fait rien pour comprendre son mal-être. "Mais quand les garçons m'ont trouvé du charme, elle est devenue jalouse de moi." Elle évoque alors "un gros clash" avec sa mère, qu'elle n'a "pas revue depuis", et qui n'a fait qu'empirer sa boulimie jusqu'à ses 17 ans.
Autre chapitre de cette vie rocambolesque – dont Lola dira qu'elle est "juste originale" : l'accident de voiture dont elle a été victime et qui aurait pu lui coûter la vie. "J'étais follement amoureuse d'un mec, on sortait de boîte et il s'est encastré dans un pylône. Il est mort quelques jours après, tandis que moi, après deux arrêts cardiaques, j'ai dû rester trois mois à l'hôpital, se remémore-t-elle. J'avais plusieurs vertèbres cassées, une fracture de la mâchoire, plus de dents du tout, plus de gencives non plus, et on ignorait si je pourrais remarcher un jour..." C'est dans cette grande galère qu'elle se rapproche sa soeur Angèle (fille de Patrick Dewaere et de Miou-Miou) pour ne plus jamais la quitter, assurant avoir "tissé un lien très fort" lorsque cette dernière "a compris qu'elle avait failli perdre une soeur". Lola mettra plusieurs années à se remettre de l'accident, tant sur le plan physique que financier. "J'ai arrêté de fréquenter des voyous et je me suis mise à bosser. Tout le temps, poursuit-elle. Fille de Patrick Dewaere ou pas, je devais me retrousser les manches et tout accepter : hôtesse d'accueil, standardiste, agent immobilier... Au bout de sept ans, grâce aux implants et greffes que j'étais enfin en mesure de me payer, tout a été réparé."
Et viendra la revanche, la comédie, dont elle vit aujourd'hui – même si elle persiste : "Mon cauchemar récurrent est de ne plus avoir de toit". Elle a appris des épreuves, s'est forgé un caractère de battante. "Ma force et mon équilibre, que j'ai tirés de mes grands-parents [m'ont permis de me reconstruire]", assure la comédienne.
Christopher Ramoné
Interview à retrouver en intégralité dans L'Express, numéro du 3 août 2016.