Selon eux, c'est de l'enfer qu'ils sortent en quittant NRJ... Déjà plongée en pleine affaire Cauet (écarté de l'antenne après des plaintes pour viols et agressions sexuelles) depuis novembre dernier, la radio emblématique vit une deuxième grosse crise, ce mardi 2 avril, après des révélations de nombreux ex-collaborateurs à nos confrères de Libération : dans une grande enquête, ceux-ci accusent Manu Lévy, animateur star de la matinale depuis plus de dix ans, de comportements abusifs et déplacés.
Des comportements qui auraient été passés sous silence ces dernières années : alors que l'équipe de la matinale, qui est composée d'une douzaine de personnes, voit passer une cinquantaine de collaborateurs en dix ans, la direction de la radio évoque seulement, selon l'enquête, "un niveau d'exigence" inhabituel de Manu Lévy auprès des collaborateurs qui viennent s'en plaindre, mais préfère leur proposer de partir plutôt que de sévir auprès du quinquagénaire, dont l'émission est n°1 depuis de nombreuses années.
Pourtant, les faits rapportés sont édifiants : alors que certains racontent "avoir sombré" en travaillant à ses côtés, ou avoir été "détruits psychologiquement", ses plus proches collaborateurs parlent quant à eux "d'une goutte de poison par jour". Trois d'entre eux, Valentin Chevalier, Isabelle Giami et Aude Fraineau, piliers de la matinale pendant plusieurs années, ont fini par claquer la porte en même temps, mi-2023. Et par saisir également les prud'hommes, rapidement rejoints par Pauline Bordja, co-animatrice de 2017 à 2019, pour "harcèlement moral".
Un harcèlement que tous les quatre, ainsi que la quinzaine d'autres ex-collaborateurs qui ont accepté de parler auprès de Libération, ont détaillé : parlant d'une "attitude d'enfant roi souvent obsessionnel, parfois obscène", ils se souviennent de remontrances, de brimades et d'humiliations pendant l'émission, hors-antenne. "Il débriefe chaque passage pour nous affirmer que tout ce qu'on vient de dire, c'est de la merde", raconte notamment une des anciennes co-animatrices. Ce que confirme Isabelle Giami, victime de railleries pour des blagues qui ne plaisent pas à l'animateur.
"Ce qui est dur, c'est que c'est insidieux. C'est un dénigrement permanent, une petite goutte de poison chaque jour. Il me disait souvent 'tu fais conne à l'antenne', et ça infuse, lentement", raconte-t-elle, ce que complète l'un de ses collègues qui a vu des femmes "sortir en pleurs" : "Ça n'arrêtait pas Manu, il continuait de les enfoncer", termine-t-il.
Il faut dire que selon la majorité des collègues interrogés, les femmes sont les principales victimes de l'animateur : "Quand on débarque, il nous trouve géniales : c'est de la drague relativement subtile. Et quand il comprend qu'on ne répond pas à ses avances, ça le frustre et il devient exécrable", raconte l'une d'entre elles, un témoignage approuvé par un homme de l'équipe : "Au début, il les complimente, fait des allusions. Et à partir du moment où elles lui font comprendre qu'il est lourd, il switche".
Une "haine des femmes" selon certains, qui en arrive à des remarques très problématiques : certaines des femmes qui travaillent avec lui notent qu'il parle très souvent de leurs "seins" ou de leur "ménopause" sous couvert de plaisanterie. Ce qui pousse l'une de ses collègues à noter ce qu'elle entend : "2 septembre : Manu m'imite avec une voix de mémère : 'J'ai pas 40 ans, j'en ai 50 et j'ai la chatte toute fripée'. 9 septembre : 'Oh c'est l'automne c'est la saison des poireaux [qu'elle se] met dans la chatte'. 19 septembre : 'Isa t'as déjà mis tes gros doigts dans ton gros cul ? [...] Isa en boudin de porte, tu serais super'. 26 octobre : "Isa, elle doit avoir la chatte acide'", décrit-elle. Les blagues homophobes contre ses collègues, ou sur leurs origines, sont également légion selon eux.
Des collègues qui évoquent également du "sabotage mental" devant un homme qui passe son temps à "inspecter, juger, corriger" : "Il n'y a jamais rien qui va, il dira toujours que c'est nul, à refaire, même pour trois fois rien. Il pinaille pour des détails", résume un chroniqueur, parti à la fin de sa période d'essai. "Pour une vidéo d'une minute pour les réseaux sociaux, il va y avoir jusqu'à quinze à vingt versions dans la journée", raconte quant lui Paul, community manager pendant deux ans, qui se rappelle commencer "à 4 heures du matin", mais devoir obtempérer "s'il veut une modification dans la soirée". Et c'est la même chose pour le standard, où les employés doivent caler les entretiens à 22h chez eux, alors qu'ils se lèvent à 4h30.
Il faut dire que selon les équipes interrogées et l'avocat des plaignants, Pierre Vignal, les exigences de Manu Lévy sont sans borne : devant être "à sa disposition et à son service", les employés vivent "de l'acharnement". Et sur des détails qui semblent anodins : "Sur un jingle, il va faire baisser l'instru de 0,01 dB", alors que "personne, pas même lui, ne peut entendre la différence" ; certains sont rappelés pour avoir "oublié une virgule", les documents doivent être en "police calibri 12, interligne simple" ; l'utilisation de sa chaise dans le studio, "dont la hauteur est réglée au millimètre" est interdite. La "clim, maintenue à température fixe" et les projecteurs qui ne doivent pas bouger ont également marqué ses équipes : "Il pétait des câbles quand on revenait de vacances et que les lumières avaient changé d'intensité".
Et tous se souviennent également des demandes aux stagiaires : "Apporter chaque matin deux bananes, une tasse d'eau chaude accompagnée d'un sachet de thé, à ne surtout pas infuser pour ne pas 'mal chronométrer', un exemplaire du Parisien, trois feuilles blanches et un stylo". Et si tout ne marche pas comme il l'avait prévu, les choses peuvent vite dégénérer : un jour, alors que le téléphone grésille, Manu Lévy l'aurait "éclaté" sur le bureau.
"Il te dit que si t'es pas à la hauteur, tu dégages. Il nous répétait : 'Là vous êtes en équipe de France, donc si vous n'en êtes pas capables je comprends, il faut que vous retourniez dans un petit club", racontent certains, ce que confirment d'autres témoignages : "Sa légitimité est son principal argument : ça fait vingt ans que je fais ce métier, donc moi je sais, et vous ne savez rien", explique Paul. De l'avis de plusieurs collègues, l'animateur "se voit comme un génie", l'"unique détenteur de la vérité".
Pour autant, l'homme, qui aurait déjà laissé une de ses collaboratrices se faire "agresser sexuellement par son bras droit" sous couvert d'une blague, se défend de tous les faits qui lui sont reprochés : "Je suis exigeant, précis, rigoureux, mais je n'ai jamais méprisé personne. Je peux faire des 'vannes' en studio, mais jamais dans le but de me moquer", rétorque-t-il. Ce qui désole ses anciens collaborateurs : toujours "traumatisés" après plusieurs années, certains expriment leur "dégoût" : "Manu Lévy a tué nos rêves et nos ambitions", l'accusent-ils.
Manu Lévy est présumé innocent des faits qui lui sont reprochés jusqu'à la clôture des procédures.