Alan Rickman avait dit : "Je suis le personnage que vous n'êtes pas censé aimer." Et pourtant, cet immense comédien britannique était adoré par la profession comme par le public. Il est mort à 69 ans à Londres, succombant à un cancer, une triste nouvelle confirmée ce 14 janvier par sa famille, qui précise qu'il est décédé entouré de ses proches et amis.
Comédien de cinéma, de théâtre et de télévision, Alan Rickman avait marqué plusieurs générations grâce à son talent et en incarnant des personnages emblématiques, notamment celui de Rogue/Snape, l'un des professeurs de la prestigieuse école de Harry Potter. Le sadique Hans Gruber dans Piège de Cristal, le cruel shérif de Nottingham dans Robin des bois, le modeste colonel Brandon dans Raison et sentiments, le mari infidèle d'Emma Thompson dans Love Actually... Autant de performances qui lui ont permis d'exceller et d'entrer dans la culture cinématographique de spectateurs de tout âge. Sa riche carrière, lui qui était un ancien membre de la Royal Shakespeare Company, ne se limite toutefois pas à ses rôles, aussi inoubliables soient-ils. Et à l'heure où arrivent les nominations des Oscars, il est vraiment regrettable de savoir qu'un talent comme le sien n'a jamais été récompensé d'une statuette.
De son vrai nom Alan Sidney Patrick Rickman, il est né à Hammersmith à Londres dans une famille modeste de quatre enfants, d'un père ouvrier irlandais qui meurt quand Alan a 8 ans, Bernard Rickman, et d'une mère galloise (décédée en 1997), Margaret Doreen Rose, née Bartlett. Si on ne connaît pas l'influence qu'elle a eue dans son éducation, Alan Rickman a été scolarisé dans une école qui suit la méthode Montessori.
Son goût pour le jeu se révèle très tôt, comme pour beaucoup de Britanniques, puisqu'il a 7 ans lors de son premier rôle, dans la pièce King Grizzli Bear. S'il souffre de problèmes d'élocution à cause de sa mâchoire inférieure trop étroite, elle lui permettra, en grandissant, d'avoir ce timbre si reconnaissable. D'après une étude datant de 2008, il a même la voix parfaite, qui allie de façon idéale le ton, la vitesse, la fréquence et l'intonation.
Comme son frère aîné David, qui sera graphiste, Alan Rickman commencera par une formation en graphisme à la Chelsea College of Art and Design et crée plus tard une société de graphisme, Graphiti. Il poursuit ensuite ses études à la Royal College of Art et dirige pendant trois ans une équipe de dessinateurs techniques. Et c'est là qu'il rencontrera sa future compagne, Rima Horton, une femme politique. Ils se marieront en... 2012.
Cette première carrière explique pourquoi Alan Rickman tarde à faire de véritables premiers pas sur scène ou à l'écran. C'est à 26 ans et sur les conseils d'un professeur qu'il se lance et obtient une bourse pour la Royal Academy of Dramatic Art - dont il était le directeur-adjoint, au moment de sa mort. En 1978, il peut se targuer d'intégrer la Royal Shakespeare Company. Une institution qui lui permet d'incarner de grands rôles - et déjà de méchants - comme celui du Vicomte Valmont dans Les Liaisons dangereuses.
Contrairement à beaucoup d'acteurs qui démarrent à Hollywood, Alan Rickman ne lutte pas tant que cela dans la Cité des anges puisque, deux jours après son arrivée, il décroche le rôle du sadique Hans Gruber pour Piège de cristal. Il a 41 ans. Plus tard, il entrera dans le classement des 100 plus grands méchants de tous les temps de l'American Film Institute. Pour ce film, il s'est physiquement beaucoup impliqué, réalisant lui-même la cascade finale où il chute d'une tour.
Dans sa liste de "vilains", le shérif de Nottingham de Robin des bois - prince des voleurs (1991), tient également une belle place. Il a refusé deux fois le rôle, avant d'accepter en ayant l'assurance d'avoir carte blanche pour créer son personnage. Face à Kevin Costner, il distille toute la cruauté nécessaire à cet homme de loi.
Le réalisateur Ang Lee et l'actrice et scénariste Emma Thompson lui permettent de montrer qu'il n'est pas qu'un méchant excellent du cinéma en lui offrant le rôle de l'humble colonel Brandon dans Raison et sentiments en 1995. Sa palette comique est exploitée à merveille dans la comédie Galaxy Quest, se parodiant lui-même puisqu'il joue un acteur très shakespearien dans le film. De plus, il prête sa voix à Marvin, le robot dépressif, dans le film délirant sorti en 2005, H2G2 : Le Guide du voyageur galactique.
Richard Curtis, expert de la romance made in Britain, le voulait pour jouer dans Quatre mariages et un enterrement, mais Hugh Grant décrochera le rôle de Charles. Ils se retrouveront alors dans Love Actually pour le rôle du mari infidèle d'Emma Thompson. Son personnage, comme nombre de ceux de ses partenaires, deviendra culte. L'épouse de Richard Curtis, Emma Freud, avait récemment révélé ce qu'il advenait du couple, d'ailleurs. Si on les retrouve à la fin du film à l'aéroport, Karen arborant une nouvelle coupe de cheveux - comme si elle avait décidé de changer de vie -, les deux personnages n'ont pas divorcé : "Ils sont restés ensemble, mais leur foyer n'est plus aussi heureux qu'il a pu l'être." Une vision un peu dure, mais somme toute crédible du couple.
Brillant face à la caméra, Alan Rickman s'essaie aussi derière. En 1997, il réalise L'Invitée de l'hiver, adaptation de la pièce de théâtre du même nom, qu'il avait déjà mise en scène en 1995. En 2014 sort sa deuxième réalisation, Les Jardins du roi, dans laquelle il joue et donne une nouvelle fois la réplique à sa partenaire de Raison et sentiments, Kate Winslet. Un film d'époque pour lequel il se réserve le rôle de... Louis XIV.
Avec Harry Potter, le parcours d'Alan Rickman bascule. Nous sommes en 2001 et il incarne l'un des personnages majeurs de la saga de J. K. Rowling, le professeur Severus Snape/Rogue. Austère et sévère, il réussit à faire vivre à l'écran cet anti-héros des livres à la perfection. Durant dix ans, il participe à la franchise et sa coupe de cheveux restera gravée dans les annales des looks du 7e art. "La saga Harry Potter a changé une grande partie de ma vie. J'y ai consacré toute mon énergie sept semaines par an pendant une décennie," avait-il déclaré au Figaro. Et l'on se souviendra à jamais de sa réplique dans le premier opus (A l'école des sorciers) : "Monsieur Potter. Notre nouvelle... célébrité."
Juge Turpin dans Sweeney Todd : Le Diabolique Barbier de Fleet Street de Tim Burton, aux côtés de Johnny Depp, il travaille de nouveau avec le cinéaste aux accents gothiques en offrant sa voix à la chenille d'Alice aux pays des merveilles. Le théâtre ne le quitte jamais, avec la pièce John Gabriel Borkman d'Ibsen, où il joue le personnage éponyme (2010). L'année d'après, il retourne à Broadway, pour Seminar, une pièce mise en scène par Sam Gold et tirée du roman de Theresa Rebeck.
Dans d'autres domaines, Alan Rickman a laissé sa trace : il était politiquement très impliqué tout au long de sa vie, affichant son attache au parti travailliste. Ses origines modestes, il ne les a jamais oubliées et il a oeuvré à travers des fonds caritatifs à développer les arts dans les pays pauvres (International Performers' Aid Trust). Et c'est avec passion qu'il incarnera le rôle d'Éamon de Valera dans le biopic Michael Collins, face à Liam Neeson. D'ailleurs, le leader du parti travailliste Jeremy Corbyn sera un des premiers à lui rendre hommage sur Twitter.
Admiré de tous, Alan Rickman l'était particulièrement de la chanteuse Sharleen Spiteri de Texas. Il joue ainsi l'objet de son affection dans le clip In Demand et fera son retour dans Start a Family, qui figure sur le best of du groupe sorti en 2015.
Son oeuvre est éternelle et il en reste d'autres d'Alan Rickman à découvrir. Dans Eye in the Sky, un thriller présenté au Festival de Toronto mais aussi Alice de l'autre côté du miroir, reprenant la voix de la chenille.
Quel souvenir garder de cet artiste aux multiples visages, capable de traumatiser des générations avec ses rôles de méchants, mais aussi de faire fondre les spectateurs avec son charisme, mélange de sévérité et de chaleur, comme l'est sa voix parfaite ? Cet extrait de Truly Madly Deeply (1990), dans lequel Alan Rickman chante The Sun ain't Gonna Shine Anymore, semble être une douce façon de clore cet hommage.