Comme un testament, elle publiait en 2011 son autobiographie, sobrement intitulée The Life of Camilla Williams, African American Classical Singer and Diva. Quelques mois plus tard, la soprano Camilla Williams, célèbre pour avoir fait tomber les barrières de la ségrégation dans le monde de l'opéra, est morte. C'est chez elle, à Bloomington (Indiana), et entourée de ses proches, famille et amis, que la cantatrice, qui avait chanté en 1963 l'hymne national The Star-Spangled Banner en introduction au mythique discours de Martin Luther King ("I have a dream"), s'est éteinte, le 29 janvier 2012, des suites d'un cancer, à l'âge de 92 ans. Elle a rejoint son mari Charles T. Beavers, décédé en 1970, connu pour avoir été un des avocats de Malcolm X.
Première Afro-Américaine à avoir signé un contrat professionnel avec une grande société d'opéra (1944), première Afro-Américaine à avoir chanté un rôle majeur avec l'Opéra national de Vienne (1954), première Afro-Américaine nommée professeur de voix à la Jacobs School of Music de l'Université d'Indiana, première Afro-Américaine à avoir enseigné au Conservatoire central de Pékin, membre active et durable de l'Association nationale pour l'avancement des gens de couleur : ses faits d'armes en attestent, sa destinée est intimement liée à celle des Etats-Unis.
Née le 18 octobre 1919 en Virginie (premier Etat où furent amenés, au XVIIe siècle, des esclaves noirs par la traite atlantique) dans une famille de musiciens autodidactes de génération en génération et plus jeune d'une fratrie de quatre, Camilla Ella Williams, dont le grand-père avait été chef de chorale et chanteur, a grandi entourée de musique : "Tout le monde chez moi chantait. Nous étions pauvres, mais bénis par la musique." Fillette, elle danse, chante et joue du piano aussi bien à l'école qu'à son église baptiste, initiée aux oeuvres classiques par un professeur de chant gallois venu enseigner dans une école de jeunes filles blanches de la ville ségrégée de Danville et qui donnait en plus des cours à son domicile à des jeunes filles noires. Après avoir été diplômée du collège de l'Etat de Virginie, et alors qu'elle enseigne la musique et le chant dans sa ville natale de Danville, elle reçoit une proposition d'études à Philadelphie : elle part prendre des cours auprès du professeur Marion Szekely Freschl (qui enseigna à la prestigieuse école de musique de Juilliard), tout en travaillant comme ouvreuse dans un théâtre.
Régulièrement primée dans des compétitions de chant, elle se voit décerner en 1943 et 1944 le Marian Anderson Award lors des deux premières éditions du concours de chant créé par Marian Anderson : tout un symbole quant on sait que cette dernière fut elle-même une des pionnières de la lutte contre les préjugés raciaux dans le milieu, première artiste noire (toutes nationalités confondues) à chanter sur la scène du Met de New York, en 1955, et personnalité phare de la lutte pour les droits civiques dans les années 1960.
Après ses débuts en radio en 1944, Camilla Williams est la première Afro-Américaine à signer un contrat professionnel avec une grande maison d'opéra, et fait ses débuts en 1946 sur la scène de l'Opéra de New York dans le rôle-titre (Cio-Cio-San) de Madame Butterfly de Puccini. Suivront Pagliacci de Ruggero Leoncavallo, La Bohème de Puccini, et Aida de Verdi, et des représentations à travers les Etats-Unis et l'Europe. Puis, plus tard, l'Afrique, l'Asie, l'Océanie, et des tours de chant en tant que soliste du Royal Philharmonic, du Berlin Philharmonic, des orchestres symphoniques de Vienne, Chicago, Philadelphie ou de la BBC.
En 1951, Camilla Williams réalise un enregistrement qui fera date : son interprétation de Bess dans Porgy and Bess, oeuvre culte de Gershwin, lui assure une reconnaissance mondiale et demeure aujourd'hui encore une référence.
En 1963, en plein mouvement des droits civiques, elle chante dans sa cité de Danville pour lever des fonds en faveur de l'action, et interprète à Washington, à la Maison Blanche, devant 250 000 personnes, l'hymne national américain The Star-Spangled Banner, accompagnée par George Malloy, en préambule au discours phare de Martin Luther King ("I have a dream..."). L'année suivante, elle chante également lors de la cérémonie de remise du Prix Nobel de la paix.
Parmi les distinctions qu'elle a reçues, Camilla Williams avait été honorée en 1995 du tout premier "Lift Every Voice" Legacy Award de la National Opera Association, récompensant l'apport des artistes afro-américains au champ de l'opéra, auquel fit écho l'année suivante un prix remis par l'Université d'Harvard. En 2007, la Bibliothèque de Virginie en fit l'une des huit icônes d'un projet mettant à l'honneur les femmes de Virginie dans l'Histoire. En 2009, l'Opéra de New York et le Centre Schomburg de recherche en culture noire organisèrent un hommage à Camilla Williams, quelques mois avant qu'elle reçoive la médaille du président pour l'excellence de l'Université d'Indiana. Elle avait pris sa retraite opératique en 1971 et s'était consacrée à l'enseignement jusqu'en 1997.