Le Gendarme de Saint-Tropez, La Septième Compagnie... En rupture de stocks de programmes neufs alors que le public est confiné à domicile, les chaînes de télévision ressortent à une période de l'année inhabituelle les grands classiques inaltérables de la comédie française. Parmi ces films dont on ne peut se lasser, Papy fait de la résistance (1983), l'irrésistible adaptation à l'écran par Jean-Marie Poiré de la pièce écrite par Martin Lamotte et Christian Clavier, qui rassemble deux générations d'acteurs phares, entre membres de la troupe du Splendid et regrettés monstres sacrés comme Michel Galabru, Jean Carmet ou Jacqueline Maillan. L'occasion de se pencher sur le cas d'une des protagonistes emblématiques de ce film culte : Dominique Lavanant.
Dans Papy fait de la résistance, Dominique Lavanant incarne Bernadette Bourdelle, fille de "La Bourdelle", cantatrice jouée par Jacqueline Maillan, et d'André Bourdelle - Jean Carmet en chef d'orchestre tué dans la Résistance. Alors que les Allemands occupent l'hôtel particulier de la famille, où vit aussi Michel Taupin (Christian Clavier), le fiancé de Bernadette, la jeune femme au caractère bien trempé s'éprend du général Spontz (Roland Giraud), avec lequel elle finira par se marier. Un des grands rôles qui, dans les années 1970, ont imposé Dominique Lavanant comme une figure incontournable de la comédie sur grand écran.
Aujourd'hui âgée de 75 ans, la fameuse esthéticienne des Bronzés et nonne de la télé (Soeur Thérèse.com, sur TF1) a pourtant totalement disparu de la vie médiatique et des écrans, où elle a réservé ses dernières apparitions, il y a déjà plusieurs années, à son grand ami Jean-Pierre Mocky. C'est d'ailleurs, tristement, à l'occasion des obsèques du réalisateur, en août 2019, qu'on a eu une rare occasion de l'apercevoir dans un passé récent, deux ans après celles de Danielle Darrieux, dont elle était également très proche. Pour lui, qui l'avait initialement dirigée en 1982 dans Y a-t-il un Français dans la salle ?, avant de lui confier en 1987 un rôle dans Agent trouble (que Dominique Lavanant convertira en César du meilleur second rôle) et de la rappeler en 1992 pour Ville à vendre, elle avait joué coup sur coup en 2012 dans A votre bon coeur, mesdames, dans lequel le cinéaste jouait les tribulations amoureuses du héros entouré d'un joli panel d'actrices (Sylvie Testud, Virginie Ledoyen, Arielle Dombasle...), en 2013 dans Le Renard jaune, où elle recroisait Richard Bohringer, et enfin en 2016 dans Rouges étaient les lilas. La même année, l'actrice participait également à deux téléfilms : Le Zèbre de Frédéric Berthe et L'Île aux femmes d'Éric Duret. Sa dernière performance sur les écrans à ce jour.
"Je l'ai fait parce que j'ai eu un coup de fil du réalisateur, Eric Duret, chaleureux, presque affectif. Et parce que l'action se déroulait à Ouessant, déclarait à l'époque la native de Morlaix dans une longue interview édifiante, sans langue de bois comme toujours, accordée à Télé Obs. Ma mère était à Carantec, à une heure de route... Mais elle est morte juste avant le tournage... Je connais Ouessant depuis très longtemps, j'y suis allée avec mon grand-père, des copains, des fiancés... Je savais que c'était un lieu rude - et c'était rude aussi pour moi. Le soir, pendant le tournage, je n'allais pas au restaurant. Je mangeais dans ma loge. Aller à la cantine pour entendre des histoires de plateau que je connais depuis quarante ans... Et puis ça vous coupe de votre personnage. Je rejoue mes scènes le soir, la nuit aussi. C'est pour ça que j'adore le théâtre."
Malaise...
Star du cinéma des années 1970-80 chez les Lautner, Zidi, Poiré, Téchiné et autres Claude Sautet, sans oublier Patrice Leconte et ses Bronzés, Dominique Lavanant, parmi ses toutes dernières contributions au cinéma, avait aussi joué en 2014 dans Les Vacances du petit Nicolas de Laurent Tirard. Une expérience douloureuse puisque le rôle lui était échu suite à la mort de son amie Bernadette Lafont, avec laquelle elle partageait l'écran deux ans plus tôt dans Paulette de Jérôme Enrico. "Je sais que quelque part, inconsciemment, Laurent Tirard m'en veut d'être là, confiait-elle en marge du tournage à Ciné télé revue. Si je suis là, c'est parce que Bernadette n'y est plus. Ça crée un malaise. Je ne pense pas qu'il s'en rende compte. Il est hypersensible, mais du coup, il est dur. Puis, ils ont écrit le texte, les répliques pour Bernadette. Certaines me font du mal à dire. On était amies, j'avais tourné trois films avec elle. Bernadette m'a dit qu'elle m'aimait beaucoup. C'était un lien indestructible. On a eu une complicité et un bonheur immédiats d'être ensemble."
Une épreuve de plus dans un parcours déjà accidenté, qu'elle avait retracé en pointillés en 2016 avec Télé Obs, en commençant par le commencement : "Mon père est mort quand j'avais 2 ans. On a vécu longtemps avec ma mère et mon frère, sans un centime... Il est mort noyé. (...) Ma mère n'avait que 23 ans. On était dans l'isolement, la tristesse. Elle s'est remariée quand j'avais 11 ans, avec le cardiologue de Morlaix, quelqu'un d'absolument formidable - mais qui s'est suicidé il y a trente ans... J'ai passé un an en préventorium. Quand je suis revenue, à 12 ans, il y avait un homme dans la maison, et une petite soeur. Dépaysement total." A 21 ans, après sept années passées dans un couvent en Angleterre, elle suit un homme, par amour, à Paris. Et découvre rapidement le théâtre. La troupe du Splendid l'enrôle pour la pièce Amours, coquillages et crustacés, qui deviendra ensuite au cinéma Les Bronzés. Mais si elle acceptera dans les années 2000 de retrouver la bande pour Les Bronzés 3, l'amitié a pâli, depuis longtemps. "Quand on me rejette, je n'ai pas pour principe de courir après les gens. Au Splendid, mes rôles ont rétréci au fur et à mesure que le temps passait. Bon, voilà. Et puis plus d'amitié. Il n'y avait plus d'affectif du tout. Il n'y avait plus rien."
En 2011, elle s'était déjà montrée blessée et dure à ce sujet, auprès de France Soir : "C'est mon pire souvenir de tournage, c'était tellement horrible que j'en ai pleuré. Aux yeux des anciens du Splendid, je n'étais rien. Juste une débutante face à d'anciens amis." Avec une amertume particulière à l'endroit de Josiane Balasko, son ancienne copine et camarade de jeu (Les Hommes préfèrent les grosses, La Smala) : "Elle a été mon amie, on était cul et chemise, et on connaissait nos familles respectives... Par moments, elle me manque, c'est vrai. Quelque chose transforme les gens. Peut-être l'argent."
Vedette également à la télévision depuis son rôle d'Imogène Ledantec de 1989 à 1996 sur TF1, dont elle avait hérité peu après avoir abandonné une opportunité en or de figurer dans Palace, terrassée par un "chagrin d'amour terrible" révélé par Jean-Michel Ribes et qui profita à Valérie Lemercier, Dominique Lavanant était redevenue très populaire au petit écran dans les années 2000 sous la robe de Soeur Thérèse.com, personnage de nonne à la langue bien pendue créé pour elle par Michel Blanc. Mais, après dix ans et une vingtaine d'épisodes plébiscités sur la Une entre 2002 et 2011, l'aventure se terminait, là encore sur une note âpre. "C'est un soulagement énorme. Vraiment, j'étais arrivée à saturation. J'avais envie d'arrêter après le dixième épisode. J'arrête sans aucun regret et avec bonheur même", lâchait-elle à TV Mag.
Confinée bien avant le confinement, l'agoraphobe Dominique Lavanant avouait jadis ne pas regarder ses films. A défaut de la découvrir dans de nouvelles productions, le public pourra toujours se réjouir, consolation douce-amère, de la revoir au sommet de son art dans des classiques tels que Papy fait de la résistance...
GJ