C'est un terrible cauchemar.
A Melbourne, Rafael Nadal, numéro 1 mondial de tennis, a dit adieu, avec une rage sourde et une poignante résignation, à ses espoirs de réaliser ce que la presse avait surnommé le Rafa Slam, à devenir le premier joueur de l'histoire à remporter consécutivement les quatre levées du Grand Chelem.
Opposé à son compatriote et ami David Ferrer (numéro 7 mondial) dans son quart de finale à l'Open d'Australie, un stade qu'il n'avait pu franchir l'an passé, évincé à la loyale par Andy Murray, le Taureau de Manacor n'a rien eu du guerrier magnifique qu'on connaît. Sans un cri, sans un geste de panache, sans une explosion de vista et de faim d'excellence, Nadal, blessé dès l'entame de match, s'est résigné à voir les points défiler jusqu'au dénouement, inéluctable, cruel, dramatique : Ferrer s'impose sans avoir à forcer son talent en 2h32' (6-4, 6-2, 6-3 face à un Nadal qui n'avait pas encore concédé un seul set dans le tournoi). Une attitude aux antipodes de la fougue fascinante que cultive sur les courts le héros majorquin, d'où la stupeur qui a saisi les médias australiens et les spectateurs de la Rod Laver Arena, en ce jour de fête nationale...
Arrivé en Australie après une victoire de bon aloi en entame de saison face à Federer à Abou Dabi et une demi-finale à Doha, à peine perturbé par une petite grippe, Rafael Nadal était monté en puissance au cours de sa première semaine. Prometteur. Sauf que, en quelques minutes, le spectre de la saison 2009, grevée de blessures, ressurgit. Dès le troisième jeu de la partie, le sort est scellé. Le toubib est appelé sur le court, que Rafa quitte un moment, avant de réapparaître, la cuisse bandée.
Sur le terrain, il n'est que l'ombre de lui-même (vidéo ci-dessus). Ses grimaces ne sont pas des décharges énergétiques mais des rictus de souffrance et d'impuissance. Un long calvaire auquel des millions d'aficionados assistent avec douleur. A 21h15, comme le souligne aujourd'hui L'Equipe, le feu d'artifice des célébrations nationales est tiré, dans ce climat incertain. Cet intermède de dix minutes ne change rien à la donne. Jusqu'au bout, bien que privé de ses moyens, Rafa écume le court. Pourquoi ? Pour ne pas voler à son ami Ferrer une belle victoire, que ce dernier savourera avec retenue et perplexité après la balle de match.
D'un cauchemar, une leçon de grandeur d'âme rêvée...
En conférence de presse d'après-match, on sait, si besoin était, en quelques secondes pourquoi Rafael Nadal s'est vu décerner, parmi d'autres récompenses honorifiques, le Stefan Edberg Sportsmanship Award consacrant le joueur le plus remarquable par son attitude et son fair-play, précédemment trusté par Roger Federer. Harcelé par les journalistes sur sa blessure, qui a compromis son match, son tournoi, son Rafa Slam, et pourrait entacher la suite des événements, Rafa, magnanime, a tout fait pour mettre en exergue la performance sportive de son adversaire du joueur, un de ses grands copains : "Je préférerais ne pas parler de ma blessure. Premièrement, je ne sais rien ce soir. Deuxièmement, par respect pour le vainqueur et mon ami, je préfère parler du match. Il a joué à un très haut niveau et je veux le féliciter et lui souhaiter le meilleur pour sa demi-finale. Il fait un tournoi fantastique. S'il continue à jouer comme ça, il a de bonnes chances."
Pardonnez le lieu commun, mais il demeure que c'est dans l'adversité qu'on reconnaît la marque des plus grands champions.