L'arrière-petite-fille d'Alphonse Daudet, auteur des célèbres Lettres de mon moulin, n'a pas une histoire commune. Âgée de 65 ans, cette ancienne grande reporter pour la télévision a "supporté soixante ans de mal-être" avant de s'accepter : une femme née dans le corps d'un garçon. Alors qu'elle publie un roman largement autobiographique, Choisir de vivre, Libération lui a consacré son célèbre portrait dans son édition du 1er février, tandis que Mathilde se confiait, la veille, à Thierry Demaizière dans Sept à Huit.
"Parler de moi ne fait pas partie des choses que j'aime, mais je le fais pour deux raisons. D'abord pour celles et ceux qui se sentent prisonniers de leur propre corps, parce que c'est le livre d'un passage réussi, écrit Mathilde Daudet en quatrième de couverture de son roman. Et puis, j'ai aussi l'espérance de lever une partie du voile sur un tabou important de notre société, et d'entrouvrir les esprits les plus fermés."
Ce tabou, c'est celui de la transsexualité - admise mais peu acceptée. Mathilde Daudet a grandi dans la souffrance, une vie marquée par la honte et l'interdit. Dans Libération comme pour dans Sept à Huit, elle raconte par exemple l'émotion qu'elle pouvait ressentir enfant devant des vêtements féminins. Un trouble parfaitement dépeint par Tom Hooper dans The Danish Girl.
Grandir est quasiment insupportable : "C'est quelque chose qui est terrible parce que c'est une souffrance permanente, raconte Mathilde sur TF1. On fait avec, on se caricature parce que l'on cherche à dissimuler." Mathilde porte encore le prénom de Jean-Pierre : elle est un homme plus vrai que nature et un collectionneur de conquêtes féminines. Quand Jean-Pierre devient père pour la première fois, il croit être sur la voie de la "guérison". Il devient reporter de guerre. Il voyage dans les endroits les plus dangereux du monde, ses collègues le surnomment Rambo. Mais il n'a pas oublié l'adolescent qui se plantait en cachette pour observer les affiches du Carrousel, ce cabaret ou les artistes trans, comme les pionnières Coccinelle et Bambi (à qui Sébastien Lifshitz à consacré un très beau film documentaire), et les travestis qui tenaient le haut de l'affiche.
C'est quelque chose que vous ne pouvez dire qu'à la personne en qui vous avez toute confiance
Jean-Pierre n'est pas encore prêt à partager son secret. De ces désirs interdits, il ne parle qu'à son double Mathilde, qu'il s'est créé à l'âge de 10-12 ans. Lorsque le désespoir était trop fort, l'envie d'en finir a pu lui traverser l'esprit : "Mais je ne voulais pas tuer Mathilde qui était en moi", peut-on lire dans Libé. "Je n'aurais jamais osé [me confier], ajoute-t-elle dans Sept à huit. C'est un interdit, c'est une transgression. C'est quelque chose que vous ne pouvez dire qu'à la personne en qui vous avez toute confiance. Et, cette personne, je l'ai rencontrée un jour. C'est la dernière femme avec qui j'ai vécue, ça a été un amour fou." Malgré les forts sentiments que ressentait Jean-Pierre pour Anne, il peine à dissimuler plus longtemps son mal-être. Elle lui pose beaucoup de questions. Il finit par tout lui dire : "Par amour... Je lui ai dit dans un mail. Je lui ai dit que j'étais une femme et que je ne savais plus comment vivre avec cette histoire. Je ne pouvais plus rester qui j'étais et j'avais peur de ce que j'allais devenir."
Sa compagne décide de l'aider. Pendant trois ans, elle l'accompagnera jusqu'à l'opération tant désirée. C'est en Thaïlande que Mathilde se fait opérer, pour deux raisons : "Les Français ne savent pas bien faire ce genre d'intervention, explique l'intéressée dans Libération. Et je ne voulais pas me soumettre à la procédure française. Trois ans d'évaluation par des psy durant lesquels il faut prouver que l'on est une femme." Sa psychiatre française l'oblige à dire à haute voix qu'elle "accepte cette mutilation". Mathilde considère cette opération de réassignation sexuelle autrement : "Ce n'est pas une mutilation, on vous remet d'aplomb." En 2011, Mathilde est reconnue aux yeux de l'Etat civil.
Mes enfants m'appellent Mathilde, tout le monde m'appelle Mathilde
Avec Thierry Demaizère, comme dans Libération, Mathilde Daudet évoque avec beaucoup de liberté sa sexualité. Après l'opération, elle se sépare de sa compagne. Cela ne fonctionnait plus physiquement, tout simplement parce que Mathilde et Anne ne se sont pas lesbiennes. Elle explique à Libé que son corps vibre de nouveau : "Le plaisir est là, après une période assez asexuée, j'ai ressenti mon premier émoi face à un homme." Mathilde est hétérosexuelle, tout simplement.
Face à la caméra, les larmes lui montent aux yeux quand elle évoque ses quatre garçons. Comment le dire à ses fils sans s'effondrer devant eux ? Mathilde Daudet rédige une lettre mais, incapable de la lire, elle la donne à son aîné. Il l'a lit devant elle, la referme et lui dit : "Mais on t'aime, qu'est-ce que ça peut faire ?" Mathilde Daudet mesure sa chance : "Mes enfants ne m'ont jamais appelée papa, toujours par mon prénom. Mais quand ils parlent de moi, ils disent leur père. Qu'est-ce que ça peut foutre ? Sinon ils m'appellent Mathilde, tout le monde m'appelle Mathilde." Sa mère, toujours en vie, accepte vite et lui offre un bracelet qu'elle lui met elle-même au poignet : "J'ai eu l'impression d'un second baptême."
La secrétaire du chirurgien m'avait dit : 'Tu vas voir, c'est un tamis à cons. C'est vrai'
Avec les amis, c'est une autre affaire. Beaucoup viennent voir la "créature, l'homme biodégradé" qu'ils quittent en louant son courage pour ne plus jamais donner de nouvelles. "Peu d'amis sont restés, mais les vrais sont là. La secrétaire du chirurgien m'avait dit : 'Tu vas voir, c'est un tamis à cons. C'est vrai.'"
De ces quelque soixante années passées dans le corps d'un homme, Mathilde Daudet dit n'avoir gardé que quelques souvenirs : "Rien d'autre. Et j'ai détruit beaucoup de photos." Avec son expérience et son livre, elle espère pouvoir aider ceux qui traverseraient la même épreuve. Elle se méfie des symboles comme Caitlyn Jenner, icône trans contestée par une partie de la communauté LGBT américaine : "Cette surexposition transforme l'exemple en exception", observe Mathilde, dont l'intégralité du portait est disponible en ligne sur Liberation.fr