Mars 1974, sortie du film Les Valseuses, film d'un trentenaire prénommé Bertrand Blier, porté par les turbulents Patrick Dewaere et Gérard Depardieu. Le long métrage connaîtra un succès à la hauteur du scandale déclenché. 5,7 millions d'entrées étalées sur plusieurs mois face à des avis contrastés, entre ceux qui crient au chef-d'oeuvre post soixante-huitard, et ceux qui parlent de "honte", de "film scandaleux". 40 ans plus tard, Bertrand Blier revient sur ses Valseuses, un long métrage qui n'a pas pris une ride et avec qui les mots liberté et déviance ont un sens qui résonne encore dans notre société.
Se confiant pendant près de 50 minutes à Bruno Cras pour son émission Secrets de tournage sur Europe 1, le cinéaste a raconté son film aujourd'hui culte, s'est souvenu qu'il avait "frôlé l'interdiction totale", tout en évoquant de savoureuses anecdotes, notamment au sujet de ses acteurs et ce duo devenu légendaire : Gérard Depardieu et Patrick Dewaere. Pour caster ces deux futures icônes, Blier dit avoir vu une bonne centaine de comédiens. Mais Depardieu l'avait déjà prévenu, "Jean-Claude, C'est moi, ne cherche pas". Blier cherchera quand même un peu, avant de se tourner vers le décapant Depardieu. "Il était mince mais il faisait peur quand même", souffle le metteur en scène qui s'est dit "impressionné" par le physique de l'acteur. Quant à l'attitude, la gouaille du jeune homme, lui comme son producteur ne savent pas à quoi s'attendre. "Gérard ? Les femmes ne vont pas supporter" glisse-t-il, presque dubitatif. Mais il est le personnage. À ses côtés, Patrick Dewaere, un fils de comédien marginal qui a décroché son rôle en une réplique. Trop musclé et grand pour incarner Pierrot, il n'est pas le premier choix du néophyte Blier. Jusqu'à ce qu'il sorte : "Je vais me mettre un peu derrière l'épaule de Gérard comme ça, j'aurai l'air plus petit." Le souci de Bertrand Blier était réglé.
Évoquant "un tournage décontracté" malgré la dimension sulfureuse et les nombreuses scènes dérangeantes du film, Bertrand Blier ne tait pas les "dégagements assez sévères" conséquences des soirées très arrosées de ses deux stars. Ils "vivaient avec leurs costumes, ils dormaient avec les blousons" et ne faisaient qu'un avec leur personnage respectif. Blier se rappellera alors des lendemains matin où les deux complices oubliaient leurs textes et ne semblaient pas faire du tout. Et de rapporter une parole de Gérard : "Je ne sais pas ce qui s'est passé mais Patrick a roulé une pelle à un bouledogue."
Face aux deux garçons en cavale, Bertrand Blier leur opposera des actrices de talent et pour la plupart, alors débutantes. En premier lieu, Miou-Miou, que Blier dit avoir "prise toute de suite". "Je n'ai vu aucune autre actrice" surenchérit l'intéressé. Face à la caméra, la jeune et fougueuse blonde ne rechigne pas à se déshabiller. Dans un autre registre, il donne une partition à la déjà très connue Jeanne Moreau, une "femme chargée de désir" qui vient de sortir de prison et à qui il a pensé en écrivant le roman qui allait ensuite devenir un film. Il a également évoqué Isabelle Huppert, toute jeune femme débutant dans le cinéma, et qui écope du rôle de "la petite bourgeoise qu'il fallait dévergonder..." et que les deux larrons en foire ont souvent "agressée". "C'est-à-dire qu'après le 'coupez', ils continuaient à le faire, il y avait des mains baladeuses. Je crois que le tournage a été court et très chaud pour elle", commente Blier. Et puis enfin Brigitte Fossey, qui héritera d'une scène érotique et culte à la fois. Seule dans un train, elle allaite son bébé lorsqu'elle tombe sur les deux voyous. Blier décrit alors "des gamins qui savaient très bien ce qu'ils voulaient". Dewaere se met alors à imiter le bébé. "Il veut une petite goutte, comme dans la chanson de Brassens" lâche Blier qui évoque Fossey, "troublée" et qui avait "bu de la bière pour augmenter un peu ses seins". "Ça l'a beaucoup amusée de le faire, raconte-t-il. Elle a eu un petit vertige quand elle s'est retrouvée coincée entre les deux mecs, l'un qui la tétait et l'autre la titillant par derrière, un moment où elle m'a dit 'pas ça'. C'était éprouvant pour elle, mais certainement, elle en a gardé un bon souvenir."
"Il y a quelques légendes qui court", s'amuse Bertrand Blier, conscient et en même temps fier d'avoir signé un film aussi marquant. "J'avais les interprètes fantastiques pour faire ça. C'était leur culture. Une évidence", dira-t-il sans aucune regret, pas même celui d'avoir changé la fin de son film par rapport à l'issue plus tragique du roman.
Christopher Ramoné