Grande championne de la natation, Camille Muffat n'est pas une championne de la communication. Mais si la Niçoise n'a jamais joué le jeu des médias avec autant d'aisance que certain(e)s de ses collègues, elle a en revanche toujours fait montre d'une franchise à toute épreuve. Ultime démonstration avec l'annonce choc de sa retraite, à 25 ans seulement. Et l'effet de surprise n'empêche pas l'honnêteté.
Un clash (de plus) comme déclencheur
C'est par le biais d'un long entretien accordé à L'Equipe que Camille Muffat a choisi de faire part de sa décision d'arrêter sa carrière de nageuse. Le grand quotidien sportif a été le premier étonné par ce choix abrupt, à quelques semaines des championnats d'Europe de Berlin (18-24 août) où elle devait être tête d'affiche et à deux ans des Jeux olympiques de Rio qu'elle avait en point de mire. "J'ai pris une grande décision, j'arrête de nager." Un sacré pavé dans la mare gravement désertée de la natation française avec les retraites successives des champions olympiques Laure Manaudou, Alain Bernard et Amaury Leveaux au cours des deux dernières années.
Si cette retraite est considérée par la principale intéressée comme "un choix de maturité et [s]a décision la plus adulte", il y a eu un "déclencheur" : un énième accrochage entre Camille et son entraîneur de toujours, Fabrice Pellerin. Déjà pris de court et sonné l'an dernier par le départ brutal de son autre protégé star à l'Olympic Nice Natation, Yannick Agnel, le technicien voit partir celle qu'il a prise en charge dès ses 12 ans sans rien pouvoir faire pour la persuader de rester. A propos de l'incident qui aura précipité une décision probablement en gestation depuis des mois, Camille Muffat restera discrète, respectueuse envers celui qui, au cours d'une collaboration de 13 ans, l'a amenée à remporter 17 titres de championne de France et 18 médailles internationales, dont une de chaque métal aux JO de Londres 2012, et un titre de championne du monde ainsi que quatre de championne d'Europe en petit bassin. "Jusqu'au bout [de l'entretien], elle éludera l'épisode, taira ces mots qui l'ont pourtant heurtée, qui ont enflammé sa réflexion et l'ont convaincue en une semaine de mettre un terme à sa carrière, écrit L'Equipe. Camille Muffat a tellement de respect pour Fabrice Pellerin qu'elle le couvre d'éloges. Elle refuse d'écorner sa réputation, comme elle s'interdit d'aller voir ailleurs. Mais elle ne veut plus être humiliée comme ce mercredi 2 juillet à Vichy. Ce n'était pas la première fois en treize ans de collaboration, mais celle de trop (...) Elle s'est toujours conformée aux règles. C'est dans son caractère. Elle comprend qu'à Nice, Pellerin considère sans distinction tous les nageurs de son groupe. Elle accepte sa rigueur mais ne supporte plus ses débordements."
"Cela touche à sa vie de jeune femme"
Que s'est-il donc passé ce 2 juillet, à Vichy, à deux jours de l'Open de France ? Camille Muffat racontera seulement : "J'étais arrivée à Vichy sur une très bonne dynamique. Le mercredi soir, on a eu un différend avec mon entraîneur. C'est entre nous comme plein d'autres choses, bonnes ou mauvaises. Mais je le mentionne parce que c'est un déclencheur. J'ai réfléchi toute la nuit à ce que je voulais pour moi, ma carrière et mon bien-être. J'ai essayé d'être très honnête avec moi-même, de ne pas enfouir ça pour continuer comme si de rien n'était." Le lendemain, la championne olympique du 400 mètres et vice-championne olympique du 200 mètres en titre quittait l'Allier en train pour aller s'isoler avec son compagnon (William) à Biarritz. "En partant de Vichy, je lui [Fabrice Pellerin] ai dit mon ressenti. Je ne sais pas s'il a compris que partir voulait dire ne plus revenir."
Une semaine plus tard, ils se voient : "C'était normal que je m'adresse d'abord à lui. Je voulais qu'il comprenne ce que j'avais à lui dire (...) Mon but est que notre relation ne soit pas ternie (...) Il sera peut-être flatté qu'arrêter avec lui, c'est m'arrêter définitivement", estime Camille Muffat, dont le profond respect envers Fabrice Pellerin, qui "adore son métier" comme peu d'autres, s'imprime dans toutes ses paroles. Mais un cap a été franchi : "Je suis à un moment de ma vie où des choses qui se disent, qui pouvaient être normales avant, ne le sont plus pour moi." "Mais ce que je retiens, assurera-t-elle plus loin, ce n'est pas que j'arrête parce qu'on a eu un différend."
Un son de cloche qu'on retrouve du côté de l'autre intéressé, Fabrice Pellerin, lequel avoue n'avoir rien senti venir et a réagi également dans les colonnes de L'Equipe : "Mercredi, on a échangé longuement, plus d'une heure. J'ai tâché non pas de la convaincre, mais d'essayer de juger la rationalité de son choix (...) Elle m'a réaffirmé son désir d'arrêter avec pas mal d'aplomb, cela semblait solide dans sa tête (...) Ce qui est revenu dans nos conversations, c'est qu'elle a touché à l'ultime à Londres (...) D'autres nageurs sont partis de Nice et je refuse de faire l'amalgame, en particulier avec Yannick (Agnel). Lui, il voulait clairement changer d'environnement, de relationnel. Son départ était directement lié à moi. Là, ça ne me semble pas être le cas. C'est plus, je crois, une réflexion liée à son engagement quotidien, cela touche à sa vie de jeune femme. Camille nageait pour de bonnes raisons. J'espère qu'elle arrête aussi pour de bonnes raisons."
Sans le moindre regret après avoir réalisé son rêve en devenant championne olympique, et avec "une pointe d'excitation", Camille Muffat se prépare à envisager, après un peu de vacances, sa nouvelle vie : "J'ai des pistes", glisse-t-elle en mettant en exergue la relation de confiance qu'elle a su établir avec ses partenaires, qui "ne [la] lâcheront pas". "Aujourd'hui, je suis sûre de moi, et je pense être assez curieuse de tout pour explorer autre chose, à fond et sans retour."