On a beau être assis sur une fortune aussi gigantesque qu'indiscernable (environ 10 milliards d'euros selon la justice française !), la 10e au monde, on peut trouver une indemnité de 60 millions d'euros passablement indigeste. C'est le cas du prince Karim Aga Khan, qui, après s'être vu condamner en appel en septembre dernier à payer 60 millions d'euros de prestation compensatoire record à son ex-épouse Gabriele Thyssen (dite la begum Inaara Aga Khan) en règlement de leur divorce, a décidé in extremis de se pourvoir en cassation contre la décision de la cour d'appel d'Amiens, selon Le Figaro. L'affaire, qui avait attiré les regards lorsque la décision du tribunal avait été divulguée, entérinant aux torts du chef spirituel des Ismaéliens le divorce le plus coûteux de l'histoire de la justice française, n'est donc pas terminée.
"Il ne sera sans doute pas facile d'obtenir un jour le versement effectif de la prestation compensatoire", pressent Me Jérôme Casey, avocat de la princesse Gabriele, inquiété par une éventuelle sortie du territoire français de l'Aga Khan, récent acquéreur d'un nouveau domaine aux Bahamas...
Karīm al-Ḥussaynī, dit le prince Aga Khan IV, devenu à 20 ans en 1957 le 49e imam de la communauté musulmane ismaélienne en sa qualité de descendant du prophète Mahomet et aujourd'hui âgé de 74 ans, avait épousé en secondes noces la princesse Gabriele zu Leiningen, Gabriele Thyssen de son nom de jeune fille, à son domaine d'Aiglemont à proximité de Chantilly (Oise) en mai 1998. Père de trois enfants nés de son précédent mariage avec le mannequin Sally Frances Croker-Poole (la Begum Salima), dont il divorça en 1995, l'Aga Khan a eu avec Gabriele un autre enfant, le prince Aly Muhammad, âgé de 11 ans, mais leur union, elle, ne dura pas plus de six ans : en 2004, la demande de divorce était déposée devant la justice suisse, qui s'estimait incompétente à se saisir de la procédure (à raison puisque, même si l'intéressé s'acquitte d'un "forfait fiscal" en Suisse, sa résidence reconnue se trouve en France), obligeant le demandeur à se tourner vers la justice française.
Direction le tribunal de grande instance de Senlis, qui statue en octobre 2009, estimant les torts partagés (la défense du prince consistait à fustiger la "légèreté coupable" de son épouse au regard de ses obligations religieuses, celle-ci mettant quant à elle l'accent sur l'infidélité de son conjoint, avérée grâce à un détective privé en 2002) et évaluant à 12 millions d'euros l'indemnité compensatoire que le prince doit verser à son ex-conjointe. Une décision insatisfaisante pour la begum Aga Khan, qui avait réclamé 200 millions en première instance.
En appel, motivé par l'opacité des actifs de son époux et le fait qu'il s'obstine à refuser de communiquer des éléments précis sur sa fortune personnelle, Gabriele Thyssen obtient gain de cause auprès du tribunal d'Amiens : 60 millions d'euros de prestation compensatoire (mais la perte de son titre), un record dans une cour française. Et, surtout, une somme colossale qui fait écho au flou artistique concernant le patrimoine réel du prince Aga Khan, estimé finalement par la justice à 10 milliards d'euros (et 950 millions d'euros de revenus annuels) : on le sait puissante personnalité du monde hippique, propriétaire de nombreux haras (en France, à Chantilly, et en Irlande) et de chevaux régulièrement victorieux, on discerne des investissements en Asie, mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Or, l'Aga Khan a tout fait pour dissimuler à la justice française, comme au reste du monde, l'état de sa fortune. Et, pour ne rien arranger, la justice n'a eu accès, dans sa procédure d'évaluation de l'indemnité compensatoire, ni au contrat de mariage signé par les époux, perdu par l'étude notariale où il avait été signé, ni aux relevés d'imposition des conjoints, pas produits. Et pour cause... Pour éviter d'avoir à communiquer des données chiffrées, le prince s'est appuyé sur son statut particulier : Le Figaro rappelle que le prince est exonéré d'impôts en France, disposant d'un statut "totalement dérogatoire" octroyé par le fisc au titre du "régime de haute courtoisie internationale" concernant normalement souverains régnants et chefs d'Etat en exercice.