Tout le monde savait, et personne n'était choqué. Une phrase qui résume bien "l'affaire Matzneff".
Alors qu'il ne sort que le 2 janvier prochain, le livre de Vanessa Springora, Le consentement (Grasset), fait déjà couler beaucoup d'encre. Dans son ouvrage, la directrice des éditions Julliard revient sur son "idylle dangereusement romanesque" avec l'écrivain Gabriel Matzneff, alors qu'elle avait tout juste 14 ans, et lui la cinquantaine.
D'après son éditeur, elle y "dépeint un processus de manipulation psychique implacable et l'ambiguïté effrayante dans laquelle est placée la victime consentante, amoureuse. Mais au-delà de son histoire individuelle, elle questionne aussi les dérives d'une époque, et la complaisance d'un milieu aveuglé par le talent et la célébrité".
L'AFP ajoute que "la sortie de l'ouvrage relance le débat entre défenseurs de l'écrivain, dénonçant une forme de puritanisme voire un procès fait à une époque révolue, et ceux défendant les victimes de violences sexuelles, et remet un coup de projecteur sur la notion de consentement sexuel." En effet, le goût de Gabriel Matzneff pour "les moins de seize ans" ne semblait être un mystère pour personne dans le monde littéraire. Transparent sur ses penchants pédophiles, Matzneff les confesse dans certains de ses essais (dont Mes amours décomposés) et avoue à plusieurs reprises des relations sexuelles avec des enfants âgés de 8 à 14 ans, "y compris avec des garçonnets lors de voyages en Asie".
Lauréat du Renaudot essai 2013, l'écrivain de 83 ans a longtemps été une figure prisée du milieu littéraire. Il a été invité à plusieurs reprises à la télévision pour faire sa promo et s'épancher, sans choquer personne (ou presque) à l'époque, sur ses attirances sexuelles, comme l'illustre cette séquence d'Apostrophes avec Bernard Pivot, très partagée sur les réseaux sociaux...
Lors de l'émission, seule la romancière canadienne Denise Bombardier semble choquée par le livre de Gabriel Matzneff, qu'elle juge "pitoyable". Il est d'ailleurs effarant de constater qu'à l'époque, l'écrivaine est accusée de "porter un jugement" et que Matzneff lui demande en plateau de "ne pas devenir agressive", alors qu'elle est, à l'inverse, calme et posée.
Depuis fin décembre donc, les internautes et journalistes sont en ébullition sur les réseaux et ne cessent de retrouver des extraits d'émissions et d'ouvrages de Matzneff tous plus accablants les uns que les autres.
Muet depuis le début de la polémique, et protégé par le délai de prescription, Gabriel Matzneff s'est finalement fendu d'un communiqué envoyé à l'Obs. Dans ces quelques lignes maladroites, il se présente comme la victime de Vanessa Springora : "Apprendre que le livre que Vanessa a décidé d'écrire de mon vivant n'est nullement le récit de nos lumineuses et brûlantes amours, mais un ouvrage hostile, méchant, dénigrant, destiné à me nuire, un triste mixte de réquisitoire de procureur et de diagnostic concocté dans le cabinet d'un psychanalyste, provoque en moi une tristesse qui me suffoque".
Les ennuis ne semblent faire que commencer pour Gabriel Matzneff. Franck Riester a en effet apporté samedi 28 décembre son soutien à "toutes les victimes". Le ministre de la Culture ajoute sur Twitter que "l'aura littéraire n'est pas une garantie d'impunité". Riester dévoile également que l'homme de 83 ans touche actuellement une allocation du CNL (Centre National du Livre), "versée à certains écrivains pour compenser les difficultés financières liées au grand âge ou à la maladie". Une allocations dont il devrait en toute vraisemblance, très prochainement se passer.