Sous le choc et en colère, ils étaient huit cents, proches et anonymes, à manifester dimanche soir sur la place des Trois-Martyrs à Rimini pour témoigner leur soutien à Gessica Notaro et se dresser contre les violences conjugales, tandis que l'ex-reine de beauté régionale continuait de se battre sur son lit d'hôpital pour recouvrer l'usage de la vue après avoir été aspergée d'acide par son ex-compagnon. Même le maire de la commune d'Emilie-Romagne, Andrea Gnassi, était mobilisé : "Gessica va s'en remettre, c'est une jeune femme belle à l'intérieur et à l'extérieur", a-t-il assuré, fustigeant "celui qui a fait ça", un "lâche".
Le lâche en question a été identifié et arrêté ; malgré son état alarmant, Gessica a trouvé la force de désigner aux enquêteurs de la police italienne son ancien petit ami, Jorge Edson Tavares, 29 ans, ex-veilleur de nuit à l'aquarium de Rimini où elle travaille passionnément depuis trois ans comme dresseuse d'otaries. "C'est lui, c'est mon ex", a-t-elle réussi à prononcer...
Cela faisait des mois qu'il la harcelait, depuis qu'elle avait mis un terme à leur relation, à la fin du printemps 2016. À coups de messages, de traque, de menaces ("je publie nos vidéos intimes si tu ne reviens pas"), de pressions sur leurs collègues de travail – ce qui lui avait coûté son emploi, une plainte et un rappel à l'ordre de la police. Mais l'escalade avait continué : divorcé et père d'un petit garçon avec une ex-conquête milanaise, "Eddy", abandonné bébé et maltraité en famille d'accueil selon ce qu'il avait raconté à Gessica, était allé jusqu'à menacer de se suicider, sachant très bien l'effet que cela allait produire chez Gessica, dont le frère Bruno a mis fin à ses jours en 2011. Au mois de décembre, il lui avait laissé un message vocal via WhatsApp pour lui dire qu'il avait découvert qu'elle en voyait un autre ; elle avait nié et coupé tout contact.
Et en cette soirée du mardi 10 janvier 2017, l'ancien garde du corps pour une agence de VIP milanaise pète littéralement les plombs et enfreint l'ordonnance restrictive émise à son encontre pour l'empêcher d'approcher : il se rend au domicile de Gessica Notaro et attend qu'elle rentre.
Depuis son lit au Centre des grands brûlés de l'hôpital Bufalini de Cesena où elle est heureuse simplement de "réussir à voir" encore, Miss Romagne 2007, qui fut finaliste lors de l'élection de Miss Italie et se préparait à sortir son premier album en tant que chanteuse, raconte la suite au média local Il Resto Del Carlino, avec force détails : "Il était un peu plus de 23h, 23h15, quand je suis rentrée chez moi en voiture en compagnie de mon fiancé actuel. Je suis arrivée près de la barrière, il est descendu puis nous nous sommes dit au revoir. Je suis retournée vers mon siège, et, alors que j'ouvrais la portière pour récupérer mon sac, je me suis soudain trouvée face à mon ex, Eddy. Je l'ai vu, j'ai vu Eddy qui avait à la main une bouteille en plastique, il était vêtu de noir. Il n'a pas dit un mot, m'a lancé un liquide dessus et s'est enfui. Je lui ai couru après sur quelques mètres en hurlant de douleur, mon visage me brûlait et ma vue se brouillait de plus en plus. J'espérais qu'il y aurait encore mon copain actuel, mais il s'en était déjà allé. J'ai couru vers la maison et j'ai appelé ma mère à l'interphone, elle est descendue en pyjama. 'Eddy m'a jeté de l'acide', je lui ai dit, et nous avons foncé à l'hôpital."
Je suis toujours en vie
Grièvement atteinte au visage, mais aussi aux hanches et aux jambes, Gessica Notaro, qui reçoit énormément de soutien, fait montre d'une force de caractère hors norme face à son calvaire : "Je suis toujours en vie, ça va. Je vais y arriver, assure-t-elle posément. Peu importe que je reste défigurée. Je veux seulement recouvrer la vue, là j'y vois d'un oeil et je suis déjà contente."
Quelques heures avant l'agression, Edson Tavares avait par deux fois téléphoné à la mère de Gessica Notaro, croisée en début de mois dans un centre commercial ("il m'a ignorée et a salué ma mère", a relaté la jeune femme aux enquêteurs) : "J'ai une chose urgente à dire à Gessica, où je peux la trouver ?", avait-il demandé. "Elle est sortie dîner, quand elle rentrera, je lui dirai que tu as cherché à la joindre", avait répondu son interlocutrice. Le projet qu'il avait, on le connaît, hélas...
Au terme d'une nuit de traque, la police judiciaire cueille Eddy au petit matin : "Je n'ai rien fait, ce n'est pas moi, j'ai passé la nuit avec une autre femme", dément crânement le solide gaillard de 1,93 mètre d'origine cap-verdienne. Des dénégations qui n'empêchent pas son arrestation immédiate et sa mise en examen pour préjudices corporels graves avec préméditation, pour des motifs futiles et avec cruauté. Au cours de son audition, il a nié en bloc, s'en tenant fermement à sa version pendant une quarantaine de minutes : "Ce n'est pas moi qui ai défiguré mon ex à l'acide, je n'aurais jamais pu faire de mal à Gessica." Il affirme avoir passé la soirée à marcher dans le centre-ville et sur le front de mer, avoir rejoint des amis et avoir erré en voiture. Beaucoup trop de contradictions dans son alibi, beaucoup trop d'indices à charge... Il soutient qu'ils entretenaient des rapports cordiaux, qu'il savait qu'elle voyait quelqu'un d'autre, chagriné qu'elle ne le lui ait pas dit et que lui-même avait une nouvelle petite amie. Lorsque le juge d'instruction lui lit la phrase par laquelle Gessica l'a désigné – "C'était lui, c'était Eddy" –, il baisse la tête et rétorque en secouant la tête : "Non, non, ce n'est pas possible." Ses réponses deviennent encore plus évasives, puis il se mure dans le silence.
Sur les réseaux sociaux, son geste insensé lui a valu un lynchage en règle : "J'ai honte d'avoir un ex-petit ami dans son genre. Cela aurait pu m'arriver à moi", s'est notamment émue une ex-compagne, au milieu des témoignages d'incompréhension et de fureur qui abondaient, y compris en provenance de connaissances du jeune homme.
Pour la mère de sa victime aussi, les faits sont durs à encaisser. "Toute l'affection que je lui ai donnée... Je l'ai accueilli comme un fils, il était entré dans notre famille et en faisait partie. Je ne me serais jamais attendue à ce que les choses prennent cette tournure", se lamentait Gabriella Botturi dans les couloirs de l'hôpital Bufalini le 13 janvier, alors qu'elle attendait encore de nouvelles informations des médecins sur l'état de sa fille. Et quand le journaliste d'Il Resto del Carlino lui faisait remarquer que Gessica avait dénoncé les agissements d'Eddy à la police, elle concédait : "C'est vrai, mais il ne l'avait jamais agressée, il n'avait jamais été violent avec elle."
Gessica ne perd pas sa bonne humeur, elle rit, elle est contente de pouvoir voir
Désireuse de tourner rapidement la page alors que sa fille est devenue un symbole de la lutte contre les violences conjugales, Gabriella souligne le nombre impressionnant de merveilleuses marques de sympathie qui affluent. Et prend, comme tous ceux qui observent et espèrent, une grande leçon de vie : "C'est une jeune femme incroyable. C'est elle qui me remonte le moral en permanence. Elle ne perd jamais sa bonne humeur, elle rit, elle est très heureuse de réussir à voir. C'est la chose sur laquelle elle insiste le plus. Moi, plus je l'écoute et plus je me rends compte qu'elle est ma force."
Mardi 17 janvier, Mauro Catalini, producteur de l'album de Gessica Notaro, a pu lui montrer des images du rassemblement place des Trois-Martyrs. "Je vous embrasse. Je vous aime", a-t-elle transmis en réponse.