Même si le silence a une fin, pour paraphraser le titre des mémoires qu'Ingrid Betancourt publiera en septembre chez Gallimard, cela ne signifie pas qu'on peut le rompre n'importe comment. Et la Franco-Colombienne en fait l'amère expérience.
La semaine dernière, quelques heures après avoir effectué une visite éclair à Bogota à l'occasion du deuxième anniversaire de sa libération par les forces armées du pays, l'ancienne sénatrice et candidate à la présidentielle en Colombie s'attirait les foudres du gouvernement (et plus encore), réclamant à l'Etat 5,5 millions d'euros d'indemnisation (dommages-intérêts) en réparation de son enlèvement par les Farc en 2002 et de sa détention, 6 années durant !
Face à cette demande de conciliation très téméraire formulée par l'ancienne otage, les dirigeants colombiens avaient très vivement réagi, choqués notamment par le procédé et l'ingratitude, patente à leurs yeux, de celle qui avait pourtant loué la perfection de l'opération Jaque menée par les forces gouvernementales (offensive qui permit sa libération ainsi que celle d'autres otages le 2 juillet 2008), le gouvernement avait répliqué via un cinglant communiqué mettant Ingrid Betancourt face à ses responsabilités.
Devant un tel tollé, l'intéressée, sans faire machine arrière toute, a tenté d'arrondir les angles : avec un désagréable sentiment de déjà vu, on a observé... les larmes d'Ingrid Betancourt, interviewée à New York le 11 juillet. Deux jours après l'annonce de sa requête, son explication était attendue : évoquant une démarche et une somme "symboliques" (ah ?), elle a affirmé avoir voulu dialoguer avec le gouvernement et "ouvrir un chemin" pour l'indemnisation d'autres otages.
"Jamais, jamais nous n'avons pensé à attaquer ceux qui m'ont libérée. Je ne vais pas poursuivre l'Etat. Je veux uniquement raconter les faits et que ce qui m'est arrivé ne se reproduise pas (...) Mes compagnons [de captivité] m'ont appelée pour me dire que la date limite pour déposer cette requête allait être dépassée", a-t-elle précisé. Affirmant son attachement à "sa patrie", elle a insisté, auprès de la chaîne de télévision colombienne Caracol et de sa vedette Dario Arizmendi (voir ci-dessus), sur le fait qu'il n'avait jamais été question de porter plainte contre le gouvernement colombien si la démarche de conciliation extrajudiciaire n'aboutissait pas. C'est également l'accent que met, en vue de contrer la polémique, un communiqué de l'avocat d'Ingrid Betancourt, selon lequel, à ce stade, personne n'est poursuivi, arguant sa volonté de se pencher sur "les mécanismes de protection que l'Etat colombien offre à ses citoyens", et qui assure les divers protagonistes de la profonde reconnaissance de l'ex-otage envers ses libérateurs.
Des ajustements qui risquent de ne pas peser bien lourd après avoir explicitement mis en cause le gouvernement dans son enlèvement, estimant qu'il avait failli à sa responsabilité concernant sa sécurité : "Si l'Etat considérait que c'était si dangereux, a-t-elle reproché, ils auraient dû me les laisser (...) et s'ils considéraient que c'était vraiment dangereux, on aurait dû me bloquer au poste de contrôle et ne pas me laisser y aller. Ils m'ont privée de mes gardes du corps et m'ont laissée poursuivre par la route. Ils n'ont pas fait face à la responsabilité qui était la leur de me protéger en ma qualité de candidate à l'élection présidentielle". Le gouvernement et le ministère de la Défense colombiens ont de leur côté fait valoir qu'ils détenaient un document signé de la main d'Ingrid Betancourt, par lequel elle les déchargeait de toute responsabilité concernant sa sécurité, en décidant d'ignorer leurs avertissements et de s'aventurer au-delà d'un point de contrôle dans la région de Caqueta - expédition qui se solda par son rapt. Face à cet élément, l'ancienne sénatrice avait initialement déclaré ne pas s'en souvenir, avant d'affirmer qu'elle avait seulement signé un texte en rapport avec l'assurance de la voiture qui la transportait, qui appartenait à l'Etat.
L'épisode est d'autant plus sensible que l'armée colombienne vient d'annoncer la mort de 10 soldats, tués dimanche lors d'une opération menée contre les Farc (12 guerilleros ont péri dans l'affrontement). Indigné, le vice-président Francisco Santos a décerné à Ingrid Betancourt, déjà très controversée en Colombie, le "prix mondial de l'ingratitude"...