Dans son édition du 18 et 19 novembre 2017, Libération accorde une superbe double page à l'actrice Isabelle Adjani et à l'avocate Léa Forestier. Les deux femmes, en écho à la libération de la parole des femmes depuis le scandale Harvey Weinstein, y sont interrogées sur le cas français où, malgré quelques voix qui ont dénoncé des agissements, aucun nom n'a filtré dans la presse.
"Elles ne sont pas sûres que leur parole soit sans conséquence sur leur carrière si elles s'approchent d'un peu trop près de la révélation de tout ce que le milieu du cinéma refoule depuis tant d'années", déclare Isabelle Adjani qui parle d'une "expectative prudente" chez ses consoeurs. Pourtant, des exemples, il y a en a et la grande Adjani en donne, nommant parfois son agresseur. "J'ai encore en mémoire un déjeuner où un metteur en scène russe a attrapé ma main en la serrant si fort que je ne pouvais plus la retirer. Il a mis son index dans sa bouche, en se mettant à le sucer, longuement. Je lui ai écrit un mot longtemps après : 'Andreï, je voulais vous dire que si je n'ai pas fait la Mouette avec vous, c'était à cause de ce déjeuner et parce que vous avez mis mon doigt dans votre bouche'", se souvient l'iconique actrice, visant bien évidemment Andreï Kontchalovski qui, en 1988, avait mis en scène La Mouette de Tchekhov, avec Juliette Binoche et André Dussollier au Théâtre de l'Odéon.
Au cours de l'interview, elle évoque également le cas d'un cinéaste qui la fascinait et qui tentait de la charmer. "Ce qui m'a aidée à ne pas succomber au charme de cet homme, qui incarnait tout de même ma fascination pour le cinéma, fut de savoir que d'autres comédiennes avaient fait une dépression après avoir été congédiées à la fin du tournage. Elles n'avaient pas anticipé qu'elles ne seraient son fantasme que le temps d'un film", se souvient l'actrice, sans nommer ce grand réalisateur.
Isabelle Adjani évoque non seulement le désir d'un cinéaste pour son actrice mais aussi la "violence sourde" (des insultes, humiliations, dénigrement, cite-t-elle) que l'on peut rencontrer parfois sur un plateau mais qu'on essaie de contourner. "Autre exemple : un cinéaste claquait des poppers sous mon nez après avoir dit moteur. Je ne pouvais pas ne pas respirer. C'était de l'ingestion de drogue contre mon gré, je sentais mon rythme cardiaque s'accélérer", se souvient-elle.
"Il m'est arrivé de refuser des projets qui m'intéressaient à cause de gestes qui m'ont pétrifiée, alors qu'ils peuvent être bénins pour d'autres", résume-t-elle, après avoir subi, plus jeune, des agressions et harcèlements où elle n'a pas eu son "mot à dire".