Le couperet est tombé : jeudi 15 décembre 2011, quatre ans après la fin de ses fonctions élyséennes et de l'immunité dont il jouissait durant ses mandats, l'ancien président de la République Jacques Chirac a été reconnu coupable de détournement de fonds publics et d'abus de confiance dans l'affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris (ainsi que de prise illégale d'intérêts dans le second volet instruit à Nanterre), et condamné à deux ans de prison avec sursis.
Un vieux dossier qui a fini par rattraper inexorablement l'ex-chef d'Etat aujourd'hui âgé de 79 ans, lequel n'était pas présent à l'audience pour entendre la sentence du tribunal correctionnel, excusé pour raisons médicales depuis la production par ses avocats d'une expertise attestant qu'il souffre d'anosognosie, un syndrome d'Alzheimer.
Si Jacques Chirac a accepté le verdict "avec sérénité", selon son avocat Me Jean Veil, l'animal politique qu'il fut et demeure, et dont les conseils avaient requis purement et simplement la relaxe, ne se rend pas sans une dernière ruade. Premier président de la République à être condamné en correctionnelle, il a certes fait savoir qu'il ne ferait pas appel de sa condamnation, mais tout en soulignant qu'il "conteste catégoriquement le jugement" dans un communiqué qui n'est pas sans rappeler, comme vous allez le lire ci-après, cette véritable profession de foi que Me Veil avait lue en son nom à l'audience du 23 septembre.
"Je n'ai plus hélas toutes les forces nécessaires pour mener par moi-même, face à de nouveaux juges, le combat pour la vérité" (J. Chirac)
Dans cette allocution (à lire en intégralité sur lemonde.fr) initialement prévue pour l'audience du 8 mars (suspendue jusqu'à septembre en raison du dépôt d'une Question prioritaire de constitutionnalité), Jacques Chirac affirmait qu' "il n'y a pas deux Chirac: l'un des soi-disants arrangements et l'autre de l'engagement d'une vie consacrée à la grandeur et à la cohésion de la France. il n'y a qu'un homme, fait d'un bloc de chair, de sang et de principes, qui assume son parcours au service de son pays".
Voici le verbatim fourni par l'AFP de la réaction de M. Chirac ce 15 décembre 2011 :
"Je prends acte du jugement du tribunal de Paris. Je me réjouis, comme je l'avais toujours demandé, que mes collaborateurs de l'époque ne soient pas pénalement sanctionnés. J'étais le maire. C'est à moi et à moi seul d'assumer. Mais, sur le fond, je conteste catégoriquement ce jugement. Sur près de 470 emplois examinés, il n'en reste, après des années de procédure, que 19 qui me sont imputés et encore partiellement. Surtout, je l'affirme avec honneur : aucune faute ne saurait m'être reprochée. Pour autant, je ne ferai pas appel. Je n'ai plus hélas toutes les forces nécessaires pour mener par moi-même, face à de nouveaux juges, le combat pour la vérité. J'ai conscience aussi que ce qui est en jeu ce n'est pas seulement l'honneur d'un homme, mais la dignité de la fonction présidentielle que j'ai assumée depuis. Et je crois qu'aujourd'hui le respect de nos institutions exige que l'apaisement vienne. Je m'en remets au jugement des Parisiennes et des Parisiens qui, par trois fois, m'ont choisi pour être leur maire. Je m'en remets à mes compatriotes qui savent qui je suis: un homme honnête qui n'a jamais eu d'autres exigences et d'autres combats que la cohésion entre tous les Français, la grandeur de la France et l'action pour la paix. Par-delà la blessure et la tristesse profonde que m'inflige ce jugement, c'est cette exigence, qu'une dernière fois, je veux porter."
Les réactions
A l'issue du jugement, les réactions se sont évidemment multipliées. Même Nicolas Sarkozy, qui s'était promis de ne pas réagir, s'est pourtant fendu d'un commentaire, saluant "l'engagement constant de Jacques Chirac au service de la France, ce qui lui vaut et lui vaudra encore l'estime des Français". C'est également ce qu'a retenu le Premier ministre François Fillon, depuis le Brésil où il est en déplacement, évoquant une décision trop tardive, "vingt ans après les faits", et qui "ne viendra pas altérer la relation personnelle qui existe entre les Français et Jacques Chirac". François Hollande s'est félicité que la justice soit passée "pour que ne s'installe pas un sentiment d'impunité", s'interrogeant également sur le "retard par rapport aux faits" et "la question du statut pénal du chef de l'Etat" ; il s'est en outre fendu d' "une pensée pour l'homme, qui connaît en plus des ennuis de santé". François Bayrou a estimé que "la justice ne pouvait trancher autrement" et philosophé : "Dura lex, sed lex." Un adage partagé par un autre centriste, Hervé Morin : "La loi est dure mais c'est la loi. Je pense que c'est bien qu'il y ait une condamnation symbolique, dès lors que les magistrats ont estimé que l'infraction était constituée. Alors que le réquisitoire du parquet était réellement scandaleux, il est bien que les magistrats du siège aient montré leur indépendance." Et l'ex-président du Sénat Gérard Larcher a constaté qu'une "page se tourne", certain que les Français conserveront de Jacques Chirac "l'image d'un homme d'Etat, celui du discours du Vel d'Hiv (...) celui aussi qui nous a évité la guerre pour les Français en Irak."