La France a rêvé de voir un coin de ciel bleu, mais le monde n'y a vu que du feu... jamaïcain : la finale du 200 mètres des Jeux olympiques de Londres, dernier rendez-vous phare de l'athlétisme lors de ces olympiades, a été embrasée par un incendie jaune et vert, un triplé de la Jamaïque accompagnant l'entrée dans la légende d'Usain Bolt comme le plus grand sprinter de tous les temps.
En 19"32, soit le même chrono que Michael Johnson lors de son sacre aux JO d'Atlanta 1996 et à deux centièmes de son propre record olympique de 2008, Usain Bolt a conservé son titre sur 200 mètres et est devenu ainsi le premier athlète olympique à être couronné sur 100 mètres et 200 mètres lors de deux olympiades consécutives. Et pendant que l'Eclair de génie fêtait avec quelques pompes et la décontraction naturelle qu'on lui sait, entouré de ses compatriotes Yohan Blake et Warren Wair, l'hégémonie jamaïcaine en même temps que son apothéose personnelle, le Français Christophe Lemaître, assis sur la piste du stade olympique, peinait à reprendre son souffle en mesurant le monde qui le sépare de l'homme indiscutablement le plus rapide de la planète.
6e en 20"19, presque trois dixièmes au-delà de son record personnel cette saison, Lemaître, handicapé par sa difficile qualification en demi-finale (au temps à un centième près) qui l'a relégué au couloir n°2, est abattu. Un an après l'espoir suscité par sa médaille de bronze aux Mondiaux de Daegu, l'ancien champion du monde junior, hébété, constate les dégâts : "L'échec, il est ici. Je suis loin de ce que je voulais faire." Et ne peut qu'admettre, pensant déjà au 4x100 dont les séries débutaient ce vendredi, ce que le monde entier a vu de mètres ière éclatante : "Ce soir, Usain Bolt était trop fort. Et les deux autres médaillés sont à leur place."
Christophe Lemaitre ne trouve pas les mots ; Usain Bolt, lui, n'a pas ce problème et ne les mâche pas. Après avoir mis son index sur la bouche pour intimer le silence à la planète prosternée devant lui, il livre sa conclusion à cette quinzaine olympique où il avait annoncé qu'il deviendrait officiellement une "légende". "J'ai montré que j'étais le meilleur", avait-il asséné après avoir conservé son titre sur 100 mètres. Après le 200 mètres et cet exploit d'un double-doublé désormais inscrit et unique dans les annales des Jeux, il déclare, impérieux : "C'est ce que je suis venu accomplir ici. Je suis une légende à présent. Je suis le plus grand athlète vivant." "Je veux donner de l'amour", ajoutera-t-il, messianique, au micro de Nelson Monfort en évoquant les idoles désormais surpassées Jesse Owens et Michael Johnson.
"Je suis une légende vivante. Faites ma gloire"
En conférence de presse, on lui demandera alors à quel niveau de légende il se situe. Au même niveau que Michael Jordan et Mohamed Ali ? "On les appelait Greatness. Disons peut-être dans la même catégorie mais pas au même niveau non plus", se modère-t-il. "Je ne dirais pas que je suis au-dessus de [Bob Marley]", tempérera-t-il encore concernant son influence en Jamaïque, lui qui présentait fièrement avant les Jeux les tenues olympiques conçues par une fille du roi rastafari. Avant de reprendre place sur son trône : "Je suis une légende vivante. Faites ma gloire. Je veux voir que ça dans les journaux et à la télévision demain. Sinon, plus d'interviews ! Et n'oubliez pas de me suivre sur Twitter !"
Mégalo ("Je sais", répliquera-t-il à Nelson Monfort quand celui-ci lui lancera son traditionnel "la France vous aime") ? Plutôt à la hauteur de cet accomplissement suprême et conforme à la showman-attitude notoire de l'homme derrière le champion.
D'ailleurs, les photographes présents au stade olympique n'auront pas manqué de mitrailler Usain Bolt... en train d'immortaliser la liesse et le triplé jamaïcain avec un appareil photo emprunté à un journaliste scandinave du quotidien suédois Aftonbladet ! Rien ni personne ne résiste à ce garçon qui aura 26 ans le 21 août et va devoir s'inventer de nouveaux défis (améliorer encore ses propres records du monde ?) pour continuer à faire vibrer la planète, mais il se trouve en l'occurrence que Bolt et le journaliste en question, Jimmy Wixtr, n'en sont pas à leur première collaboration : l'Eclair, qui qualifie sur le ton de la plaisanterie Wixt de "harceleur", s'était déjà servi de son appareil photo à Daegu et à Rome ! "Cela faisait plusieurs jours que je lui demandais de faire une photo avant la course, a confié le reporter nordique. Hier, il m'a promis qu'on prendrait une photo après la course, je portais le même chapeau que depuis le début de la semaine pour qu'il me reconnaisse. Comme photographe, il est plutôt doué. Il est charmant et a pris plusieurs photos avec Blake tout en plaisantant."
Pour plaisanter, il n'est évidemment pas le dernier. Et avec son magnanime dauphin (sur 100 et 200) Yohan Blake, qu'il surnomme "la bête" en raison de sa musculature et de ses entraînements forcenés, tout est prêt pour le passage de témoin. "Qu'on gagne ou qu'on perde, on restera amis, souligne Blake, parce qu'au bout du compte, il ne s'agit que d'une course."
Après le podium 100% jamaïcain, c'est une seconde ovation qui attendait Usain Bolt, vénéré tel un dieu. Car, plus qu'un extra-terrestre dont la nature surnaturelle serait seulement prodigieuse, l'Eclair, dont son ami le prince Harry notait il y a pu l'impact sur la jeunesse de son pays, est officiellement devenu un symbole de foi universel. Gloria in excelsis Deo.
G.J.