Hollywood n'est pas rancunier. Pour une Sean Young broyée par la machine et laissée pour morte, le cinéma américain pardonne et oublie les erreurs de beaucoup d'autres, renvoyés dans le système en un rien de temps. Passé par des années noires à cause de ses addictions, Robert Downey Jr. a ainsi dépassé tous les espoirs en explosant le box-office avec Iron Man et Sherlock Holmes, décrochant même une nomination aux Oscars. Plus intéressante car préméditée, la chute de Joaquin Phoenix enclenchée par sa reconversion dans le rap puis illustrée dans le faux-docu I'm Still Here (2010) de Casey Affleck a provoqué un demi-scandale, à peine ressenti en France. Presque deux ans plus tard, le comédien a reconquis Hollywood avec The Master de Paul Thomas Anderson, en lice pour les Oscars 2013. L'occasion pour Joaquin Phoenix de réexpliquer les raisons de sa rebellion.
"Je prenais ça trop au sérieux"
Révélé chez Gus Van Sant, M. Night Shyamalan et Ridley Scott, nommé aux Oscars pour Walk the Line (2005) et acteur fétiche de James Gray, Joaquin Phoenix provoque un raz-de-marée fin 2008 lorsqu'il annonce sa décision de quitter le cinéma pour entamer une carrière de rappeur. Two Lovers (2008) devait alors être son ultime film. En février 2009, il débarque sur le plateau de David Letterman avec une barbe et une paire de lunettes, dans un état second et incapable de tenir un discours cohérent. La scène attire tellement l'attention que Ben Stiller s'en moque ouvertement sur la scène des Oscars. En septembre 2010, après deux improbables années, Phoenix réapparaît dans l'émission pour officiellement confirmer que I'm Still Here est un "mocumentaire", un faux documentaire sur sa carrière musicale montée de toute pièce en connivence avec Casey Affleck. Entre temps, les deux compères sont accusés de harcèlement sexuel et le buzz autour du film est tombé à plat. Hier radieuse, la carrière du comédien-star semble condamnée.
Interviewé par Time, il explique : "L'une des raisons pour lesquelles j'étais frustré par le métier d'acteur était que je le prenais tellement au sérieux. Je veux que ce soit si bien que ça me bloque. C'est comme l'amour : quand on tombe amoureux, on n'est plus soi-même. On perd le contrôle (...) Une fois devenu un bouffon total, c'était libérateur (...) J'étais seulement acteur depuis trop longtemps, et ça avait plutôt été gâché pour moi. Je voulais me mettre dans une situation qui me ferait sentir tout nouveau en espérant que ça inspire une nouvelle façon de voir le métier. Ça a effectivement été le cas."
"Juste de la publicité"
Avec le recul, il regrette la manière dont Casey Affleck et lui ont géré la distribution du film, convaincu qu'il aurait pu être davantage vu par le public. Néanmoins, aucun remords sur la promotion de Two Lovers, brouillée par son petit manège médiatique. Citant le distributeur paresseur, il balanche : "Je ne sais si quiconque aurait remarqué Two Lovers, soyons honnête. (...) Le fait est que l'argent est la raison pour laquelle on est au courant d'un film et pas d'un autre. Parfois, on est chanceux, le bouche-à-oreille ou des critiques attirent l'attention sur un film qui ressort. Mais le plus souvent, ce n'est pas parce que l'acteur va chez ce put*** de Letterman que les gens vont voir le film. C'est juste de la publicité."
Une publicité qui a visiblement payé, deux ans après. Casté par Paul Thomas Anderson dans The Master après le départ de Jeremy Renner, contraint à abandonner le rôle à contre-coeur à cause d'une production périlleuse, Joaquin Phoenix retrouve une occasion de briller de mille feux dans un événement du septième art, attendu comme le messie. Présenté à la Mostra de Venise, le film a empoché le prix de la mise en scène et du meilleur acteur pour Phoenix et Philip Seymour Hoffman, en plus d'un Lion d'or retiré à contre-coeur par Michael Mann. Une deuxième nomination aux Oscars est donc à prévoir pour le comédien de 37 ans, attendu dans Nightintale de James Gray, où il sera un horrible homme qui pousse une pauvre polonaise (Marion Cotillard) à se prostituer dans le New York des années 20. Resté dans le coeur des auteurs contemporains, il sera ensuite le héros de Her avec Rooney Mara, Amy Adams, Samantha Morton et Olivia Wilde, l'histoire d'un homme qui tombe amoureux de la voix d'un ordinateur. Le Phoenix a renaît de ses cendres.
The Master, en salles le 9 janvier 2013.
Geoffrey Crété