À Hollywood plus qu'ailleurs, les extrêmes se bousculent à la première occasion. Les stars d'hier disparaissent dans l'ombre des espoirs de demain, les studios se débattent pour flairer le prochain filon avant l'ennemi et le box-office sert d'indice relationnel à la communauté du septième art.
Au sommet de la pyramide cinématographique moderne, la cérémonie des Oscars représente sans nul doute le tournant décisif de chaque année - et d'un certain nombre de carrières scellées par une simple nomination. Quelques heures après le triomphe mémorable du Français Jean Dujardin, encore inconnu des Américains il y a six mois, Sean Young était une nouvelle fois humiliée lors d'une soirée post-Oscars, arrêtée par la police après une altercation avec un homme de la sécurité - elle a depuis exigé des excuses publiques.
Plus souvent associée à la case embrouilles qu'à un écran de cinéma, Sean Young est encore aujourd'hui citée comme la comédienne de Blade Runner de Ridley Scott, Wall Street d'Oliver Stone et Dune de David Lynch - trois classiques du cinéma américain qui auraient dû lancer une belle carrière. Mais l'histoire de Sean Young, 52 ans et broyée par Hollywood, est beaucoup plus incroyable.
La chute de cette actrice américaine est d'autant plus dure qu'à 23 ans et parmi une centaine de prétendantes, elle décrochait le rôle féminin principal de Blade Runner (1982), un classique en puissance. Repérée par Steven Spielberg lors des auditions pour Les Aventuriers de l'arche perdue (1981), elle attire l'attention de David Lynch et son producteur pour Dune (1984) et plane avec le succès surprise de Sens unique (1987), un thriller avec Kevin Costner.
Mais à peine est-elle lancée que sa carrière explose en plein vol. Loin de s'entendre avec le réalisateur Oliver Stone, elle est remerciée par la production et son rôle dans Wall Street (1987) est réduit à une apparition. Woody Allen coupe ses scènes dans Crimes et délits (1989) puis Alice (1990). La spirale destructrice continue sur le tournage du drame État de choc (1988) où James Woods l'attaque pour harcèlement. L'acteur et sa fiancée de l'époque disent avoir trouvé une poupée défigurée en guise de menace sur le pas de leur porte ; Sean Young, elle, explique avoir été punie pour avoir voulu mettre un terme à leur flirt en coulisses. L'affaire est réglée "à l'amiable" - James Woods est particulièrement énervé dès qu'on aborde le sujet avec lui - mais la popularité de l'actrice est sérieusement amochée.
L'année suivante, elle se blesse lors des répétitions à cheval de Batman (1989) de Tim Burton à une semaine du tournage. Remplacée en urgence par Kim Basinger, propulsée par le succès phénoménal du film, Sean Young rate l'occasion en or de devenir une star. Visiblement boycottée par le milieu et précédée d'une mauvaise réputation, elle est remerciée après plusieurs jours de tournage du film Dick Tracy (1990) pour différends artistiques. Les coulisses et la version officielle sont une nouvelle fois contradictoires puisque l'actrice explique son remplacement par son refus de céder aux avances de Warren Beatty - qui réfute l'accusation.
Armée de son courage et de quelques idées, elle bataille pour décrocher le rôle de Catwoman dans Batman le défi (1992) - la suite du film dans lequel elle devait jouer. Dans un costume qu'elle a elle-même créé, Sean Young va rencontrer Tim Burton et les producteurs de la Warner Bros. Sans succès. Quand Annette Bening abandonne le rôle au dernier moment, c'est Michelle Pfeiffer qui est appelée. "Le fait de m'être montrée, cette agressivité n'était simplement pas autorisée aux femmes. Si un homme avait fait ça - si Jim Carrey ou Sean Penn avait fait ça - ça aurait été 'Ah ah, il a du cran !'. Mais dans mon cas, ça s'est retourné contre moi."
Incontrôlable ou incorruptible, trop fière ou trop franche, Sean Young est ainsi condamnée à errer dans les séries B et autres téléfilms. Quelques mois avant d'aller elle-même soigner son alcoolisme en 2008, elle expliquait à Entertainment Weekly : "Los Angeles, la Cité des anges ? C'est la Cité des diables. La Cité des cobras qui sourient. Cette ville aspire du venin au petit déjeuner. (...) J'ai dû gérer le meurtre de ma personnalité. Je n'ai jamais fait de mal à qui que ce soit dans ce métier, jamais."
Probablement blacklistée par les studios à cause de ses querelles avec les mauvaises personnes, Sean Young quitte Hollywood dans les années 90. "Une erreur. J'aurais dû rester et me battre. Si on n'est pas là pour se défendre, la rumeur se transforme en monstre. J'ai peut-être vu ça comme un moyen de me protéger, mais ça a été le déraillement de ma carrière." Au passage, elle regrette quelques mauvais choix de sa part et rêve de l'autre tournant de sa carrière avec Martin Scorsese - elle a dû refuser le rôle de Sharon Stone dans Casino (1995) car elle était enceinte.
Lors des prestigieux Director's Guild Awards en 2008, Sean Young abuse de la boisson et se ridiculise en commentant le discours du réalisateur Julian Schnabel (Le Scaphandre et le papillon) et les larmes de Marion Cotillard. Depuis ce triste épisode, elle a participé à Skating with the Stars (2010), utilise sa deuxième cure de désintoxication dans l'émission de télé-réalité Celebrity Rehab with Dr. Drew (2011) aux côtés du père de Lindsay Lohan et a joué une veuve noire dans Les Feux de l'amour.
Malmenée à tort ou à raison, traînée dans la boue et brisée par le système, la star des années 80 Sean Young s'est finalement confondue avec l'image qu'Hollywood avait d'elle : celle d'une pauvre et ridicule actrice has-been qui court désespérément après sa gloire d'antan.
Geoffrey Crété