Pour les juges d'instruction, la Société Générale n'a pas manipulé la justice dans l'affaire Kerviel : ils ont requis deux non-lieux dans les enquêtes ouvertes après les plaintes de l'ex-trader contre la banque. Un revers qui compromet sa demande de révision de son procès.
Les magistrats instructeurs ont rendu un premier non-lieu, le 6 juillet, dans l'enquête ouverte pour "subornation de témoin", et un second, le 25 juillet, dans la procédure pour "escroquerie au jugement" et "faux et usage de faux", a appris vendredi 4 août l'AFP de sources judiciaires et proches du dossier.
Ils ont suivi les réquisitions du parquet de Paris qui avait estimé en décembre qu'"aucun élément [n'allait] dans le sens d'une quelconque manoeuvre frauduleuse du groupe bancaire pour peser sur le résultat de l'enquête".
Pour l'ancien opérateur de marché, accusé en janvier 2008 en pleine tempête financière mondiale d'avoir fait perdre 4,9 milliards d'euros à sa banque, l'enjeu était important : la justice avait décidé d'attendre le dénouement de l'enquête pour "escroquerie au jugement" pour se prononcer sur un éventuel nouveau procès pénal, souhaité par Jérôme Kerviel qui a déposé une demande de révision de sa condamnation à cinq ans de prison, dont trois ferme.
"Ce double échec judiciaire le prive de toute chance de succès dans sa tentative d'obtenir la révision de son procès", a réagi à l'AFP Jean Veil, avocat de la Société Générale.
Dans la première enquête pour "subornation de témoin", l'ex-trader, aujourd'hui âgé de 40 ans, avait déposé plainte en avril 2014, accusant la Société Générale d'avoir versé plus d'un million d'euros à Éric Cordelle, son ancien supérieur hiérarchique, afin qu'il témoigne en faveur de la banque.
Lors des deux procès de Jérôme Kerviel, Éric Cordelle avait assuré que le groupe bancaire n'avait rien su des colossales prises de position à risque du trader, contrairement à ce que ce dernier affirmait.
Dans la seconde procédure pour "escroquerie au jugement" et "faux et usage de faux", l'ancien opérateur de marché soutenait que la Société Générale avait manipulé les bandes sonores sur lesquelles étaient enregistrées les conversations qu'elle a eu avec lui les 19 et 20 janvier 2008, juste après la découverte de ses prises de position non autorisées sur les marchés.
Une expertise, diligentée par le juge d'instruction Roger Le Loire, avait conclu que les enregistrements n'avaient été ni expurgés ni modifiés.
Jérôme Kerviel assurait aussi que la banque avait omis de transmettre certaines informations essentielles à la justice.
Au cours de l'instruction, l'ex-enquêtrice de la brigade financière Nathalie Le Roy avait affirmé avoir été "instrumentalisée" par la Société Générale alors qu'elle travaillait sur l'affaire. Mais les enquêteurs avaient relevé des inexactitudes et des contradictions dans son témoignage.
L'ex-trader accusait enfin la Société Générale de lui avoir imputé des pertes relevant d'autres opérateurs de marché et d'avoir été au courant des risques qu'il prenait.
"La banque n'avait pas connaissance des prises de position de Jérôme Kerviel" qui a "systématiquement dissimulé ses positions par de fausses opérations", avait estimé le parquet de Paris dans son réquisitoire.
Après des années de bataille judiciaire et médiatique, Jérôme Kerviel a tout de même remporté plusieurs manches face à son ancien employeur : le groupe bancaire a été condamné aux prud'hommes à lui verser près d'un demi-million d'euros.
Surtout, la cour d'appel de Versailles a condamné en septembre 2016 Jérôme Kerviel à verser un million d'euros de dommages et intérêts à la Société Générale, bien loin des 4,9 milliards d'euros de sa première condamnation en 2010.
En avril, ses comptes bancaires ont été saisis par un huissier à la demande de la banque.
L'ancien trader et son avocat, David Koubbi, sont accusés d'avoir utilisé lors d'une audience devant la cour d'appel de Versailles des enregistrements d'une magistrate réalisés à son insu. Une enquête pour "recel d'atteinte à la vie privée" a été ouverte par le parquet de Lille et les deux hommes ont été placés en garde à vue en juin dans le cadre de cette procédure, avant d'être relâchés.
Sollicité, Me David Koubbi n'était pas disponible dans l'immédiat.