Il est revenu le temps des cathédrales, et, avec lui, celui du spectacle musical Notre-Dame de Paris, proclamé par la voix phénoménale du magistral Richard Charest : le chanteur d'origine québécoise, époux à la ville de Marie Fugain, a fait retentir lundi 30 mai 2016 l'air vertigineux que son prédécesseur Bruno Pelletier offrit au public français il y a dix-huit ans de cela, en ouverture d'une soirée événement au cours de laquelle Luc Plamondon et Richard Cocciante présentaient leur nouvelle troupe. Avec une fierté et une émotion dont Purepeople, qui les a rencontrés à cette occasion, peut témoigner.
À travers la pluie, la cathédrale Notre-Dame de Paris lorgnait placidement sur le Théâtre du Châtelet, lieu de rendez-vous pour cette renaissance, comme une bénédiction muette accordée à ceux et celles qui vont faire revivre à partir du 23 novembre 2016 le spectacle culte au Palais des Congrès à Paris puis en tournée dans toute la France, quinze ans après les dernières représentations au pays de Victor Hugo. Victor Hugo, convié par Luc Plamondon, qui lui a emprunté son héros Quasimodo, au gré de quelques passages du Bossu de Notre-Dame soigneusement choisis... À tour de rôle, les interprètes des protagonistes dépeints dans ces courts et saisissants portraits apparaissaient pour les incarner et se révéler en chantant, lancés par la voix immuable de Richard Cocciante au piano, l'une de ces chansons devenues mythiques.
Après la démonstration initiale de Richard Charest, qui campe depuis plus de dix ans maintenant le poète Gringoire – initialement, il jouait Phoebus à la suite de Patrick Fiori –, Luc Plamondon et Richard Cocciante n'ont pas tardé à présenter leur nouvelle envoûtante zingara : c'est à la délicieuse Hiba Tawaji, star au Liban et révélée en France par sa participation au télé-crochet The Voice (demi-finaliste en 2015), que revient l'honneur de ressusciter Esmeralda. Si la jeune femme a insisté, en entretien avec Purepeople, sur la "responsabilité" qu'elle ressent ainsi que sur son désir d'y apporter une touche d'Orient, sa prestation du soir augure déjà du meilleur : une interprétation intense et fière de la chanson Bohémienne, et plus tard, la grâce absolue de sa version de Vivre ont fait courir des frissons dans le public de professionnels présent, qui lui a fait une ovation vibrante.
Et quand il y a Esmeralda, celui qu'elle met le plus au supplice, Frollo, n'est jamais très loin : l'élégant Daniel Lavoie, 67 ans, reprend ce rôle torturé si cher à son ami Luc Plamondon. Les deux hommes ont en commun d'avoir été envoyés au séminaire à l'adolescence ("au Canada, toute bonne famille catholique veut faire d'un de ses enfants un prêtre", nous a confié Daniel avec un sourire malicieux) et d'être finalement devenus artistes et poètes. Alors que lui semble imperméable aux effets du temps, son Frollo, qu'il retrouve plus de quinze ans plus tard, a-t-il changé ? "Beaucoup. Il est plus vieux, donc encore plus fragile", contemple Daniel Lavoie, vrai gentil habité par ce personnage de méchant dont il explore plus profondément encore le tourment moral et sexuel... Une profondeur qu'on entend dans Tu vas me détruire, dans une interprétation étourdissante qui, de la violence vociférante à la douleur murmurante, fait hérisser les poils.
Quasimodo l'italiano
Après le maître de Notre-Dame, on attend désormais le maître de ses cloches... Quasimodo fait alors son apparition sous les traits du jeune Italien Angelo Del Vecchio, et dès les premières mesures, dès les premières notes, sa voix caverneuse à la rocaille travaillée et son engagement physique impressionnant imposent ce jeune homme par ailleurs très doux et timide comme évident dans le rôle. Et pour cause : Angelo – qui, notons-le, chante sans accent – l'a tenu dans la version italienne, créditée d'un immense succès, et en tournée à l'étranger (Chine, Japon, Russie, Luxembourg...) après avoir été lancé par Richard Cocciante dans son spectacle musical Giulietta & Romeo. Le merveilleux compositeur dit d'ailleurs le considérer un peu comme son fils : "Il est venu me voir, il avait 15 ans. Il a grandi, il est devenu puissant", se remémore-t-il avec, effectivement, une forme de fierté paternelle. Ce qui rappelle que le spectacle Notre-Dame de Paris a été et demeure un formidable révélateur de talents.
Phoebus, quant à lui, sera réinventé par Martin Giroux. L'ancien vainqueur de la première Star Académie au Canada, qui a déjà une expérience probante dans le monde des spectacles musicaux (il était notamment la doublure de... Bruno Pelletier dans Dracula, entre l'amour et la mort, créé et joué par ce dernier), s'empare de Déchiré, une des chansons marquantes attachées au personnage, et fait valoir sa puissance vocale. En coulisse, il nous avouera que ce titre n'est pas sans résonances avec sa vie intime, et on devine que le rôle du capitaine ensorcelé par Esmeralda et tiraillé par ses sentiments ne lui est pas échu par hasard.
Dix-huit ans après avoir lancé la carrière d'une toute jeune Julie Zenatti, le rôle de Fleur-de-Lys croise celle d'Alyzée Lalande. La comédienne et chanteuse française, aperçue dans Plus belle la vie et remarquée plus récemment sur les planches dans Le Voyage extraordinaire de Jules Verne et Le Bal des vampires, est entrée dans la peau de la fiancée de Phoebus en interprétant La Monture, sans doute l'une des plus belles expressions de la jalousie.
La troupe du spectacle produit par Charles et Nicolas Talar ne serait pas complète sans Clopin pour commander aux gitans, protéger Esmeralda et sonner la révolte. Luck Merville et Roddy Julienne, les deux historiques du rôle, laissent la place à un interprète qu'on commence à bien connaître : Jay. L'ex-membre de Poetic Lover, retrouvé depuis en soulman au sein du trio Vigon Bamy Jay, avait déjà croisé la route de Luc Plamondon à l'occasion de sa participation à sa comédie musicale Cindy, en 2002. Pour ces retrouvailles, il prête sa voix chaude, dense et très typée à Clopin, faisant résonner lors de ce showcase de présentation, avec son vibrato saillant, l'urgence de la chanson Les Sans-Papiers, accompagné par ses partenaires pour choristes.
Une galerie de portraits et leurs incarnations qui n'attend plus qu'une chose : se fondre dans "l'alchimie magique" que Richard Cocciante observe dans l'oeuvre qu'il a créée avec Luc Plamondon, raison pour laquelle le duo, toujours entouré de la même équipe (notamment Gilles Maheu à la mise en scène et Martino Müller à la chorégraphie), a souhaité ne rien changer au spectacle tel qu'il fut présenté à Paris à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Seuls les costumes de Fred Sathal connaitront une mise à jour, sous la houlette de Caroline Villette Van Assche.
La magie est indéniablement au rendez-vous lorsque Angelo Del Vecchio, Daniel Lavoie et Martin Giroux reprennent l'immense succès extrait du spectacle, Belle, leurs voix et leurs tourments se mariant pour le meilleur et pour le pire. La présentation au Théâtre du Châtelet s'achèvera au son de Libérés, dans une interprétation collégiale rageuse laissant planer une énergie électrique. Rendez-vous est pris pour le grand retour de Notre-Dame de Paris.
Notre-Dame de Paris, à partir du 23 novembre 2016 au Palais des Congrès à Paris, en tournée dans toute la France d'avril à décembre 2017 – liste des dates sur le site officiel du spectacle. Un partenariat a par ailleurs été noué en faveur de la Recherche sur le diabète de l'enfance avec l'association Aide aux Jeunes Diabétiques – AJD, avec la possibilité d'effectuer un don donnant droit à une réduction sur le prix du billet. Actualités à suivre également sur la page Facebook de Notre-Dame de Paris.
Guillaume Joffroy