"Jusqu'ici, j'ai très peu vécu avec des gens. Toute ma vie, j'étais parti. Là, je vais vivre à terre comme les gens vivent à terre. L'heure est peut-être venue aussi" : pour "mettre à terre" Olivier de Kersauson, il faut qu'il le veuille bien, déjà. Et il faut avoir de solides arguments, dont sans doute une nature à le faire voyager encore, autrement. Sandra, avec qui le fameux navigateur vit une "expérience démente", doit avoir tout cela.
A 69 ans, à l'âge où certains sont rangés des bagnoles de longue date, Olivier de Kersauson décide de se ranger des bateaux, des grandes expéditions qui l'ont fait vivre et vibrer : veuf de Caroline Piloquet-Verne, mère de leur fils Arthur disparue en 2005, le loup de mer s'apprête à épouser en Polynésie sa compagne Sandra, rencontrée dans les Tuamotu (à l'Est de Tahiti), en plein coeur du Pacifique où il vit désormais - et encore un peu en Bretagne tout de même, à Saint-Renan, près de Brest.
A Paris-Match actuellement en kiosques, qui a suivi le couple du Finistère à Venise pour un séjour romantique et expose en couverture son amour immortalisé sur le Grand Canal, Olivier de Kersauson parle mariage - un peu -, passé/présent/futur - beaucoup - et beauté des choses - énormément -, avec cette langue et cet esprit si singuliers, mélange de grâce poétique et d'ultralucidité franche comme une bourrasque bretonne, qui en font l'un des aventuriers de la vie les plus fascinants à suivre. Il faudra d'ailleurs lire, en septembre, Le monde comme il me parle, son nouveau livre aux éditions Le Cherche Midi.
Avec Sandra, "une vraie histoire à vivre plus loin"
D'abord, c'est par la Polynésie que le marin a été séduit. Là-bas, il a trouvé de quoi presque réaliser son rêve "d'être transparent", puisque, noyé dans cette immensité pacifique qui fait trois fois l'Atlantique, à 5 heures d'avion de l'Île de Pâques et autant de Santiago du Chili, 7 de Sydney et 8 de Los Angeles, "le simple fait d'être au milieu du plus grand océan du monde change tout" : "que tu le veuilles ou non, tu sens physiquement que tu es dans un endroit à nul autre pareil", contemple-t-il en décrivant les turquoises, les verts, les blancs...
Puis c'est par une Polynésienne qu'il a été subjugué. Solitaire dans l'âme, qui confesse en riant que ça "[l]e navre" quand on lui parle alors qu'il se pensait transparent, il semble découvrir que "la vie, c'est mieux à deux", sans pour autant abdiquer son idéal exclusif : "La solitude, c'est quand même vachement bien, non ? J'adore être seul. Parfois, je ne vois personne pendant une semaine. J'adorerais habiter sans aucun être humain à 300 km à la ronde. Ce n'est pas du tout du mépris. J'ai le plaisir de l'autre, je n'en ai pas le besoin. Ça fait une grosse différence."
Et de la même manière, d'une belle histoire à un beau mariage, il y a une grosse différence. "Tu te maries parce que c'est aussi bien. Du moment que tu vis avec quelqu'un, pourquoi pas ? Je vais me marier. Oui, je vais me marier. Ce n'est pas plus stupide que le reste. C'est aussi pour le confort de l'autre. Quand c'est ta femme, les gens ne la traitent pas comme quand c'est ta copine ou ta maîtresse. Que tu le veuilles ou non, le corps social fait plus attention. Et si tu as la chance de rencontrer quelqu'un avec qui une expérience aussi démente, car c'est dément, est possible, à mon avis il faut le tenter", décrypte un Olivier de Kersauson que ses proches disent transformé, qui "se reconstruit un bonheur". "C'est une chance de plus", insiste-t-il, éludant toutefois la question sur les circonstances de sa rencontre avec Sandra : "Pendant quarante ans, j'ai vécu uniquement préoccupé par les choses de la mer et des bateaux. La Polynésie, ça ressemblait à des grandes vacances, quand même. Des grandes, grandes vacances. Alors, tu commences à regarder autour de toi ce qui pourrait rendre ces vacances encore plus belle." Et le voilà en route pour de grandes, grandes vacances à deux avec la jolie Polynésienne : "Puisque nous avons la chance de vivre une vraie histoire, je vais essayer de la vivre plus loin. Si le mariage perdure, c'est qu'il a des raisons d'exister. Il faut se donner la chance qu'une relation amoureuse soit encore plus forte, moins égoïste. Je n'aurai pas peur du mariage, ça ne peut être que mieux..."
Inlassable "chercheur de lumières", intarissable contemplatif, foncièrement antimatérialiste ("Ce qui doit demeurer dans le coeur ou dans l'âme, ça reste") et antipossessif ("Je trouve ça très énervant, "mon", "ma". Ce ne sont pas "mes" enfants, ce sont les enfants (...) On est là pour vivre, pas pour posséder"), Olivier de Kersauson sait ce qu'il aime et ce qu'il déteste (en particulier, "les donneurs de leçons", "l'odeur du groupe", qui lui interdit d'aller au cinéma ou au théâtre, "les hommes politiques", "ces gens qui prétendent être tout et qui ne sont rien"). Surtout, il sait où il va et n'a pas besoin de publicité ("Mon rêve serait de n'exister que dans l'action que je mène"). "Je n'ai aucune blessure. Je n'ai pas de nostalgie. J'ai aimé. J'ai adoré. Maintenant, je suis un vieil homme (...) J'ai beaucoup vécu, j'ai beaucoup recherché. Et je continue à rechercher", dit-il.
Grand-père depuis 2010, avec la naissance d'une petite Iris dans le ménage de son fils Arthur et son épouse Clotilde (belle-fille d'Inès de la Fressange), l'amiral "se consacre à sa nouvelle vie avec autant de passion qu'il mettait à naviguer", affirment ses proches. Et lui, si prompt à s'emballer en évoquant ses périples fabuleux, de dire, sans une once de résignation : "Je n'irai plus au cap Horn. Je ne ferai plus les grandes courses. Je le sais. Ça me... Comment expliquer ? Ça ne me fait pas marrer, mais je m'en fous." Pourvu qu'il y ait des lumières.
"Olivier de Kersauson, Cap sur le mariage." Un entretien passionnant à retrouver en intégralité dans Paris-Match, actuellement en kiosques.
G.J.