Dans son dernier documentaire, Là où les putains n'existent pas (arte), Ovidie raconte l'incroyable hypocrisie qui domine en Suède autour de la prostitution. La réalisatrice s'intéresse au meurtre d'Eva-Marree Kullander-Smith dans les locaux des services sociaux par son ancien compagnon qui lui a donné 32 coups de couteaux. Quelques années plus tôt, la jeune femme avait perdu la garde de ses deux enfants pour s'être brièvement prostituée et n'avait jamais réussi à faire valoir ses droits : l'ancien compagnon était violent, mais c'est lui qui avait la garde ; la justice ne voulait rien savoir. Le film, saisissant, a reçu le prix Amnesty international au Festival international du film de Thessalonique. Dans un long entretien accordé à Télérama, en kiosques ce 10 juillet 2018, Ovidie résume sa carrière : c'est la "question de la stigmatisation" qui "est présente tout au long de mon parcours".
Dans ces films pornos féministes, dans ses livres et essais comme dans ses documentaires, Ovidie explore cette thématique. Elle-même, malgré un parcours riche et souvent passionnant, n'est que trop souvent réduite à "ex-actrice de X", un métier qu'elle n'a exercé que trois ans, jusqu'en 2001 : "Avoir été actrice X rend quasi impossible toute vie amoureuse et familiale normale – c'est le thème de mon film Rhabillage [pour Envoyé spécial en 2011, NDLR]. La pression sociale est forte, on projette sur vous des fantasmes. (...) Je ne dis pas que cette incompréhension ne peut être dépassée – un homme peut apprendre à vous connaître vraiment –, mais si quelqu'un tombe amoureux d'Ovidie en ayant en tête l'ex-actrice et la personne médiatique, lorsqu'il se retrouve chez moi à la campagne avec mes chiens, il va être forcément paumé pendant un moment."
Âgée de 37 ans, Ovidie est la maman d'une pré-adolescente. Elle travaille sur une thèse de lettres, un diplôme qui "ne va rien changer" : "Je me dis que cela transmettra à ma fille des valeurs positives sur le plaisir d'étudier, même une fois adulte." Pour le moment, la fillette a été assez protégée de la notoriété d'Ovidie ("Si vous mettez dans la même phrase ex-actrice porno, Prix Nobel, championne de boxe, c'est ex-actrice porno que les gens retiennent !", regrette sa maman) : "J'ai toujours vécu dans la hantise qu'on lui fasse des réflexions désobligeantes, mais elle mène une vie normale. C'est une bonne élève, elle a des camarades, est invitée aux anniversaires, raconte Ovidie. (...) Elle est fan des Rita Mitsouko, et je lui ai appris que dans sa jeunesse Catherine Ringer avait tourné dans des films pornos. Ma fille a eu l'air interdite, et j'ai eu peur qu'elle soit choquée. Mais non, elle a seulement dit : 'Ah ! On a dû vachement l'embêter.' Là j'ai pensé : c'est gagné !"
Dans cette longue interview, Ovidie revient sur ses débuts, la réflexion derrière chacun de ses choix, chacun de ses films : "Un certain nombre de féministes avaient commencé, dès les années 1980, à réfléchir à une vision de la sexualité moins stéréotypée. Sachant qu'elles n'arriveraient pas à éradiquer l'industrie des films X, elles ont décidé de s'en réapproprier les codes et de combattre la misogynie sur son terrain. Des réalisatrices et productrices ont commencé à investir ce domaine. (...) C'est ce type de féminisme pro-sexe, lié au corps, que j'avais envie d'explorer." Un féminisme que l'on sent dans chaque témoignage de Là où les putains n'existent pas où la Suède, ce pays qui, en pénalisant le client (comme la France), abandonne, met en danger et tente d'effacer de la société tous les travailleurs et travailleuses du sexe. "[Ce féminisme] m'a poussée à m'intéresser peu à peu à tous les oubliés et toutes les oubliées du féminisme. Par exemple les femmes voilées, qui estiment subir une stigmatisation au quotidien." C'est en poursuivant cette réflexion qu'elle a trouvé le sujet de son prochain documentaire : l'accouchement et les violences gynécologiques.
Ovidie dans la série "Rencontre avec des femmes remarquables" de Télérama, en kiosques le 10 juillet 2018.