La robe bulle, le style futuriste, le costume Mao, les premiers vêtements unisexes... Figure de la mode des sixties, Pierre Cardin s'est éteint à l'hôpital américain ce matin, à 98 ans. La mort du couturier, designer et de l'homme d'affaires a été confirmée par sa famille à l'AFP.
Benjamin d'une fratrie de dix enfants, Pietro Costante Cardin est né le 2 juillet 1922 en Italie. Deux ans après sa naissance, ses parents sont ruinés à cause de la Première Guerre mondiale et décident d'emmener leur tribu en France pour une nouvelle vie. Pierre Cardin n'a que 14 ans lorsqu'il découvre le métier de tailleur. Après quelques stages à Saint-Étienne et Vichy, il tente sa chance à Paris à la fin de la Seconde Guerre mondiale, chez Jeanne Paquin. C'est grâce à cette célèbre couturière qu'il fait la rencontre de Jean Cocteau et réalise des costumes pour le film La Belle et la Bête. Après un bref passage chez Elsa Schiaparelli, Pierre Cardin devient premier tailleur chez Christian Dior dès l'ouverture de la maison en 1946.
"J'ai eu la chance de travailler avec Jean Cocteau, Christian Bérard, Max Ophüls, Christian Dior, Jean Delannoy, tous les grands en somme. J'ai eu des maîtres qui m'ont donné la force d'exister à travers mon originalité, ma personnalité", a-t-il expliqué à Reuters, en mars 2020. Le jeune couturier se lance ensuite en solo et ouvre sa maison de couture en 1950, en rachetant la maison Pascaud située au 10 rue Richepanse. Tout en créant des costumes de scène et de bal, le styliste séduit sa clientèle avec ses tailleurs. Des tailleurs qui seront au coeur de son tout premier défilé organisé dans la capitale en 1953.
Rapidement, Pierre Cardin fait figure de précurseur en misant le prêt-à-porter quand la haute couture est la norme. Il devient un entrepreneur visionnaire en ouvrant plusieurs boutiques parisiennes, puis en réalisant une collection de prêt-à-porter de luxe pour le grand magasin Au Printemps en 1959. Une collaboration considérée à l'époque comme un véritable acte de rébellion. S'ensuivent une ligne masculine, puis une ligne pour enfants.
C'est à cette époque qu'il connaît une romance médiatisée avec la comédienne Jeanne Moreau qui, même après leur rupture, restera une amie proche jusqu'à son décès en 2017. "Jeanne était une femme discrète, cultivée, intelligente, elle mettait les gens à l'aise, avait un immense talent comme vous le savez, et savait se faire comprendre en se taisant. C'était un amour passager, car les grands amours durent très longtemps ou pas du tout. Il l'a été suffisamment pour que nous soyons très heureux tous les deux", avait-il confié à Léa Salamé dans l'émission Stupéfiant ! en 2018.
Le styliste confirme son statut d'outsider lorsqu'il s'oppose aux règles strictes de la Chambre syndicale de la couture, pour finalement en démissionner 1966. Une audace qui contribue à son rayonnement international : Pierre Cardin est l'un des premiers couturiers français à organiser des défilés événements sur la place Rouge à Moscou, dans le désert de Gobi et dans la Cité interdite. Une notoriété mondiale qui ne fait qu'accroitre le succès de ses produits sous licence, un système de production qui assure sa fortune. En 1974, il est le premier couturier à faire le couverture de Time magazine.
A la tête d'un empire de la mode, il diversifie ses activités en développant une collection de meubles, puis en ouvrant l'Espace Cardin en 1971. Dix ans plus tard, il rachète également le célèbre restaurant Maxim's à Paris pour en faire une nouvelle marque implantée partout dans le monde. En 1991, il devient le propriétaire du Palais Bulle, sur les hauteurs de Cannes, avant de racheter le château du Marquis de Sade en 2001.
Mais le système commercial qui a permis à Pierre Cardin de construire un empire est celui-là même qui a fini par causer sa perte dès les années 1980 : à force de poser son nom sur des produits aussi divers que des chaussettes, des stylos et des briquets, la marque perd en qualité, puis en notoriété. Pour autant, Pierre Cardin reste un couturier reconnu. Il est d'ailleurs le premier à rejoindre l'Académie des beaux-arts en 1992.
Lancement de parfums, magazines, cigares ou encore voitures, inauguration de boutiques, rétrospectives mais surtout de restaurants à Paris, Shanghai, Genève, Monaco, New York, Istanbul, Athènes, Pékin... Dans les années 1990, Pierre Cardin reste indépendant et continue de miser sur les restaurants Maxim's tout en célébrant ce qui a fait sa renommée mode. Le stylite et entrepreneur accumule les prix, médailles et distinctions en tous genres : Trophée de la mode CFDA à New York en 2007, Membre d'Honneur de l'Académie Russe des Beaux-Arts l'année suivante, Ambassadeur de l'ONU pour l'alimentation et la agriculture en 2009...
En 2016, Pierre Cardin fait défiler ses pièces les plus célèbres à l'Institut de France à l'occasion de ses 70 ans de création. Un héritage sur lequel s'appuie aujourd'hui un de ses jeunes protégés, Pierre Courtial, qui a lancé sa collection au Studio Pierre Cardin en 2020, en présence de son célèbre mentor. "M. Cardin va à l'essentiel, il n'y a pas de fioriture. Si l'essentiel est là, bien placé, bien étudié, appréhendé, ça suffit en somme", avait-il résumé auprès de Reuters.