Le récit de ses trois "entrevues" avec le prince Andrew, qu'elle a relatées à plusieurs reprises au cours des dix dernières années, était déjà relativement détaillé, mais Virginia Roberts a fait grimper sa narration et la gravité de ses accusations d'un cran significatif : à l'occasion de sa toute première interview télévisée, accordée à Dateline sur la chaîne NBC en compagnie de cinq autres plaignantes et diffusée le vendredi 20 septembre 2019, l'ancienne esclave sexuelle de Jeffrey Epstein, première à avoir brisé l'omerta et désormais suivie par nombre de victimes du magnat pédophile, a fait de nouvelles révélations qui, si elles s'avèrent exactes, sont accablantes pour le deuxième fils de la reine Elizabeth II.
Le suicide en cellule d'Epstein, le 10 août dernier, a certes tué dans l'oeuf le procès qui l'attendait, mais la parole s'est libérée. Dans le sillage de Virginia, qui révéla son histoire à la fin des années 2000 avant de porter plainte en 2015, ce sont aujourd'hui des dizaines de femmes qui décrivent l'exploitation et les abus sexuels qu'elles ont subis sous la contrainte et l'emprise du milliardaire et de sa complice Ghislaine Maxwell. Lors d'une audience qui s'est tenue le 27 août dernier à New York, plusieurs d'entre elles sont sorties du silence pour livrer des témoignages glaçants et bouleversants. Quant à Virginia Roberts, elle a de nouveau raconté devant la cour comment elle s'est trouvée à trois reprises offerte pour des faveurs sexuelles au duc d'York, père des princesses Beatrice et Eugenie - qui ont quasiment le même âge qu'elle - et ami de longue date de Jeffrey, avec qui il avait été vu par exemple en 2010, quelques mois après la remise en liberté de celui-ci au terme d'une peine de prison pour une affaire de prostitution de mineure. "Il sait ce qu'il a fait et il peut témoigner de cela. Il sait exactement ce qu'il a fait, j'espère qu'il l'avouera", le visait-elle ce jour-là.
Je veux que tu fasses pour Andrew ce que tu fais pour Epstein
Tombée dans l'engrenage en 1998, à 15 ans, abordée lors d'une fête au Mar-a-Lago de Donald Trump à Palm Beach par Ghislaine Maxwell, qui lui avait fait miroiter un emploi de masseuse, Virginia Roberts avait rencontré le prince Andrew une première fois en 2001, à Londres, au domicile de Ghislaine - rencontre dont témoignent des photos publiées par les médias britanniques. La soirée s'était poursuivie dans un club privé de la capitale anglaise ; le lendemain, la jeune femme recevait 15 000 dollars de la part de Jeffrey Epstein. Quelques semaines plus tard, c'est à New York, dans la bibliothèque du manoir de l'homme d'affaires à Manhattan, qu'elle se retrouvait sur les genoux du duc d'York, puis dans "le donjon". Quant à la troisième et dernière entrevue, elle aurait eu lieu dans les îles Vierges, dans une autre propriété du milliardaire qui aurait été le théâtre d'une véritable "orgie" impliquant plusieurs mannequins russes...
Décidée aujourd'hui, bien que son cas personnel tombe sous le coup du délai de prescription, à faire traduire en justice ceux qui se sont rendus complices du trafic sexuel organisé par Jeffrey Epstein, Virginia Roberts a réitéré ses graves accusations, que le palais de Buckingham a toujours catégoriquement démenties au nom du prince Andrew. "Il a commis des abus sexuels, il a participé, insiste-t-elle. La première fois à Londres, j'étais si jeune. Ghislaine m'a réveillée le matin et m'a dit : "Tu vas rencontrer un prince aujourd'hui." Je ne savais pas, alors, que j'allais être livrée à un prince." Et de relater le déroulement de la fameuse soirée, qu'elle a déjà évoquée : "Nous sommes sortis au club Tramp [un club très privé dans le quartier huppé de Mayfair, NDLR]. Le prince Andrew m'a donné de l'alcool, dans le carré VIP, je suis presque sûre que c'était de la vodka. Il était là en mode : "Dansons." Et moi : "OK." Nous sommes partis du Tramp et je suis monté en voiture avec Ghislaine et Jeffrey. Elle m'a dit : "Il revient à la maison et je veux que tu fasses pour lui ce que tu fais pour Epstein." Je n'arrivais pas à y croire." Cela faisait alors trois ans que le milliardaire l'avait "éduquée" pour en faire son esclave sexuelle. Et voilà comment elle se serait retrouvée à prendre un bain virant aux préliminaires - notamment du léchage d'orteils, comme elle l'avait raconté avec force détails en 2015 - avec le duc d'York, alors âgé de 41 ans, avant de coucher avec lui dans la chambre mise à sa disposition par Ghislaine. "Il n'était pas méchant ni quoi que ce soit, poursuit-elle, il a dit merci et des trucs vaguement sentimentaux puis il s'en est allé. Je ne pouvais pas croire que même la royauté soit impliquée. Il nie que ce soit arrivé, il va continuer à nier, mais il connaît la vérité tout comme je la connais."
Sollicité par le Daily Mail après la diffusion d'un extrait de l'interview de Virginia Roberts (Giuffre, de son nom d'épouse), les services de police de Scotland Yard ont confirmé qu'ils avaient été saisis d'une plainte pour exploitation sexuelle concernant des faits "non récents" et ont fait savoir qu'après un "examen attentif des preuves disponibles" elle avait été classée sans suite. "Nous entendons bien qu'il y a un intérêt et une préoccupation majeurs autour de cette affaire et avons reconsidéré cette décision, et nous sommes convaincus qu'elle demeure appropriée. Aucune autre action ne sera entreprise", ont-ils maintenu. Les victimes, elles, ne souhaitent plus se taire, à l'image notamment d'Anouska De Georgiou, un ancien mannequin de Playboy sorti de l'anonymat le mois dernier pour raconter comment elle s'est retrouvée à la merci d'Epstein pendant plusieurs années, décrivant comment il est progressivement parvenu à ses fins à force de manipulation et de soutien émotionnel, financier...
"Au moment où je me suis fait violer, c'était trop tard, a notamment évoqué dans Dateline cette ancienne élève du très guindé Marlborough College à la même époque que Kate Middleton. Et à chaque endroit il y avait ce microcosme où tout le monde acceptait cela et se comportait comme si c'était normal. Si vous êtes une jeune femme qui entre dans une grande maison ou sur l'île de quelqu'un et que tous ceux qui sont présents font comme si c'était normal et que vous êtes la seule à trouver que ça ne l'est pas, c'est difficile de dire quoi que ce soit."
Personnage-clé de cette sordide affaire, Ghislaine Maxwell fait la morte...