Comparer Vladimir Poutine à Hitler en cette année de centenaire de l'éclatement de la Première Guerre mondiale et à un mois du grand raout international en Normandie pour le 70e anniversaire du Débarquement allié n'est sans doute pas ce que le prince Charles pouvait faire de mieux...
La tournée officielle de quatre jours du fils et héritier de la reine Elizabeth II au Canada avec son épouse Camilla Parker Bowles vient certes de toucher à sa fin ce jeudi 22 mai 2014, mais elle ne restera pas sans suites. En cause, des propos que le prince de Galles aurait prononcés pour commenter la position de l'exécutif russe par rapport à la situation en Ukraine.
Jusqu'alors, tout se déroulait pour le mieux et Charles se faisait des tas d'amis au Canada, État membre du Commonwealth et terre de grands espaces à la nature majestueuse, destination idéale pour ce prince amoureux fou de l'environnement. Débarqué le 18 mai avec un programme de plusieurs étapes en Nouvelle-Écosse, sur l'Île du Prince Edward et dans la province du Manitoba, le prince britannique, égal à lui-même, s'est prêté à tout type d'exercice avec la même bonne volonté. Mais servir son déjeuner à l'ours polaire Hudson au zoo de Winnipeg, devenir pote avec une carotte géante, donner sa première interview à la télévision canadienne ou prononcer quelques phrases en français dans son discours lors de la cérémonie de bienvenue, n'était finalement pas le plus dangereux.
Alors qu'il visitait le musée de l'Immigration d'Halifax, en Nouvelle-Écosse, où Camilla et lui ont rendu hommage au sacrifice des soldats canadiens, le prince Charles a eu l'occasion de s'entretenir avec une bénévole du nom de Marianne Ferguson. Âgée de 87 ans, celle-ci a raconté à l'émissaire de la reine comment elle avait dû fuir à 13 ans avec sa mère et ses soeurs pour échapper à l'invasion nazie et l'annexion de sa ville natale de Dantzig, aujourd'hui Gdansk, en Pologne, tandis que le reste de sa famille était envoyé dans les camps de concentration. Et, alors qu'elle évoquait la manière dont Hitler avait fait main-basse sur l'Europe, le prince Charles aurait selon elle réagi en des termes rapprochant l'attitude du président russe vis-à-vis de l'Ukraine de celle du Führer : "Et Poutine est en train de faire exactement la même chose."
En théorie, les conversations des membres de la famille royale avec le public sont strictement privées, mais les journalistes ne manquent jamais de recueillir les témoignages des personnes qui ont eu le privilège d'échanger quelques mots avec eux (c'est ainsi que la plupart des commentaires faits par le prince William et Kate Middleton sur leur fils George ont fait surface). Dès lors, tout dépend du degré de confidentialité et de fiabilité de l'individu interrogé.
La colère du Kremlin
Les quelques mots partagés par Marianne Ferguson se sont répandus comme une traînée de poudre et, se propageant jusqu'au Kremlin, ont déclenché un incendie diplomatique. Moscou s'est empressé d'exiger de Londres "des explications officielles", via un communiqué du ministère des Affaires étrangères fustigeant des propos qui, "s'ils ont été tenus, ne font naturellement pas honneur au futur monarque britannique". A priori, ils ont bien été tenus : selon une source royale citée par le Daily Mail, le prince Charles n'aurait pas nié, mais aurait regretté que ces quelques mots éclipsent sa tournée.
À noter que le scandale n'est pas seulement international : en Grande-Bretagne, l'idée même que l'héritier du trône ait pu faire part d'une opinion politique défraie la chronique. Sur ce point, Charles enregistre cependant un soutien assez massif de la classe politique : le Premier ministre David Cameron a estimé que "chacun a le droit d'avoir ses opinions", le chef de l'opposition Ed Milliband a jugé "qu'il n'avait pas tort concernant les agissements de Poutine et qu'il avait absolument le droit de dire qu'ils suscitent des inquiétudes, sans doute largement partagées dans le pays", et le vice-Premier ministre Nick Clegg a considéré qu'être membre de la famille royale ne signifie pas faire voeu de silence et a adhéré à l'avis du prince, jugeant "le comportement de Poutine pas seulement menaçant pour l'Ukraine mais aussi déstabilisant pour l'Europe". Autre son de cloche de la part de Sir Tony Brenton, ancien ambassadeur britannique à Moscou, pour qui il n'y a "rien de plus insultant que de comparer un Russe à Hitler, qui a tué 26 millions de Russes".
Le timing de ce scandale est en tout cas des plus inopportuns alors que le prince Charles et le président Poutine sont tous deux attendus à Colleville-Montgomery en Normandie le 6 juin prochain pour les cérémonies du 70e anniversaire du Débarquement. Ce jour-là, ils ne devraient pas être assis à proximité l'un de l'autre parmi les dizaines de dignitaires du monde entier, et le prince de Galles "partira dès la fin en raison d'un autre engagement". Ce n'est pas la seule embrouille au sujet de la venue prochaine en France du futur roi d'Angleterre : alors que son programme officiel compte des visite à Courseulles-sur-Mer, Mesnil Bavent, Breville Les Monts, Bayeux et Colleville-Montgomery-Plage, le maire de Merville-Franceville, Olivier Paz, s'est ému d'apprendre que sa commune, qui se prépare depuis des mois à l'accueillir, ne figurait pas à son agenda et a fait part de sa colère dans une pétition.