Lundi 26 janvier à Bordeaux s'ouvrait le premier procès de l'affaire Bettencourt. Il s'agit du volet abus de faiblesse dans lequel dix personnes sont poursuivies, soupçonnées d'avoir bénéficié des largesses de l'héritière de L'Oréal, Liliane Bettencourt, et d'avoir abusé de sa fragilité. L'un deux, son infirmier Alain Thurin, a tenté de se suicider dimanche. Trois mois avant l'ouverture du procès, il adressait un long courrier au procureur de la République que nos confrères de L'Obs ont pu consulter en intégralité. Une lettre bouleversante.
Alain Thurin, âgé de 64 ans, était prévu sur les bancs des accusés pour avoir figuré dans le dernier testament de la milliardaire qui, en août 2011, lui attribuait une assurance-vie de 10 millions d'euros. Dans ce même testament, rendu public en décembre de la même année, Liliane Bettencourt déshéritait ses petits-fils, Nicolas et Jean-Victor Meyers, qui sont aujourd'hui ses tuteurs. Dans cette longue lettre "en cinq pages parfois confuses", selon nos confrères, l'infirmier raconte avoir vécu ce don comme une malédiction et il porte des accusations très graves envers François-Marie Banier et "ceux qui étaient censés défendre Madame", ses avocats et hommes de confiance comme Pascal Wilhelm, lui aussi sur le banc des accusés.
"Elle adore ses petits-fils"
"Je ne voulais pas de cet héritage, écrit Alain Thurin. (...) Je n'avais pas besoin de cet héritage pour veiller sur elle quel que soit le nombre d'heures. C'est mon épouse qui m'a téléphoné un matin pour me dire que, sur Internet, on informait que j'avais reçu de la part de Madame un héritage. (...) J'avais l'impression que le sol se dérobait sous mes pieds." Puis l'infirmier s'interroge : "Pourquoi Madame a rédigé cet acte ? Elle adore ses petits-enfants." Plus grave encore, Alain Thurin explique que Liliane Bettencourt n'en a pris connaissance que lorsqu'il lui a demandé de révoquer le don qui lui était destiné : "Elle fut surprise de savoir que ses petits-enfants, eux, n'étaient pas sur le testament. Elle ne comprenait pas. Et surtout, elle ne se souvenait pas de ce testament signé au mois d'août 2011." Dans ce document en effet, la milliardaire désignait l'Institut Pasteur comme légataire universel, lui attribuant les assurances-vie destinées à l'origine à ses petits-enfants. Le Canard Enchaîné évoquait à l'époque une somme déjà colossale de 497 millions d'euros ; pour Le Point, on s'approchait carrément des 700 millions.
Dans sa lettre, Alain Thurin met en cause le photographe François-Marie Banier dont la valeur des cadeaux reçus par l'héritière atteindrait le milliard d'euros. Il décrit l'emprise du dandy sur Liliane Bettencourt et accuse ses hommes de confiance de ne pas l'avoir protégée. Soupçonné d'avoir servi d'intermédiaire auprès de Pascal Wilhelm, l'homme de confiance qui a succédé à Patrice de Maistre (tous les deux poursuivis pour abus de faiblesse), Alain Thurin estime avoir été "manipulé". "Seuls ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas machiavélique mais après ce Banier et le mal familial qu'il a créé, je peux comprendre ceux qui doutent", écrit l'infirmier. La lettre ne cache rien des liens profonds d'attachement qui le liaient à la milliardaire et que les juges considéraient comme "une emprise croissante".
Guerre de procédure
Alain Thurin n'ayant pas d'avocat, il est difficile d'avoir de ses nouvelles depuis qu'il a tenté de se pendre dimanche dans un parc de Brétigny-sur-Orge. De source policière, il est hospitalisé "entre la vie et la mort". Le procès a repris ce mardi matin au tribunal correctionnel de Bordeaux et nous sommes toujours sans information claire sur son état. Après le rejet d'une question prioritaire de constitutionnalité déposée par deux avocats de la défense, ceux de François-Marie Banier et Patrice de Maistre, de nouvelles demandes d'avocats visent à faire reporter le procès. Le président a aussi ordonné une expertise sur l'état de santé de Claire Thibout, ex-comptable de Liliane Bettencourt : elle est le principal témoin à charge, quoique mise en examen pour faux témoignages dans une procédure distincte (après une plainte de Banier et de Maistre) et absente depuis lundi. Résultat attendu le 1er février avant que le tribunal n'aborde le fond du dossier.
Le procureur Gérard Aldigé a enfin évoqué une autre lettre d'Alain Thurin que le parquet de Bordeaux a reçue lundi, selon l'AFP. Une lettre signée le 24 janvier, veille de sa tentative de suicide, et dont le contenu n'a pas été divulgué. Le procureur souhaiterait qu'elle soit versée au dossier.