Ce jeudi 30 mai, Benoît Paire est passé entre les gouttes de Roland-Garros pour s'imposer face à Lukasz Kubot en trois sets 7-6 (7/2), 6-2, 6-4. Une victoire nette durant laquelle le tricolore aura fait une démonstration, sans jamais perdre ses nerfs lorsqu'il était accroché par son adversaire. Une petite révolution pour celui qui est capable de dégoupiller sur un court de tennis et de tout lâcher mentalement, comme ce fut le cas il n'y a pas si longtemps face à Michaël Llodra.
Enfant calme, joueur colérique
Sur le circuit ATP, Benoît Paire est un garçon à part. Capable de vaincre sans coup férir Juan Martin Del Potro, 7e mondial, et de pousser dans ses retranchements Roger Federer, il lui arrive aussi de perdre les pédales et de s'écrouler face à un obscur inconnu du fin fond du classement mondial. Ses débuts sur le circuit furent bien plus connus pour ses coups de gueule, ses sautes d'humeur, ses interminables discussions avec les arbitres ou ses monologues avec lui-même. Pourtant, dès que les raquettes sont rangées, le jeune Français est tout autre. Une double personnalité qu'il a toujours eue comme le confiaient ses parents Éliane et Philippe dans les colonnes de L'Équipe. "Enfant, il ne piquait jamais de colère ou de caprice", expliquait ainsi Éliane. "Quand ça n'allait pas, il se contentait de prendre un air renfrogné et partait bouder dans sa chambre", ajoute son père qui explique que son rejeton, aussi doué pour le foot que le tennis, ne s'énervait que sur un court de tennis. "Il en a pris, des tacles dangereux, poursuit la maman, fan de Roger Federer. Croyez-le ou non, jamais il ne s'énervait. Il se relevait sans dire un mot. En revanche, dès qu'il faisait une erreur sur un court, il partait dans des états pas possibles."
"Le regard des autres était tout pour lui"
Car pour Benoît Paire, le regard des autres compte plus que tout. Le moindre coup qui ne s'approche pas de la perfection et l'Avignonnais peut lâcher mentalement. "C'est trop dur dans sa tête, il n'accepte pas de mal jouer, raconte sa maman. Petit, après un match, il ne demandait que s'il avait bien joué. Le regard des autres était tout pour lui." Benoît Paire et sa mauvaise réputation sont les premiers à reconnaître cette drôle de dichotomie dans Le Parisien : "Pendant l'adolescence, j'ai été un peu rebelle. De 14 à 16 ans, ça a été des années très difficiles pour moi. Sur un court, je me transformais. Je piquais des colères énormes alors qu'en dehors, rien ne pouvait m'énerver. Mais les colères étaient toujours dirigées contre moi-même, à cause d'erreurs bêtes ou à la suite de fautes d'arbitrage. J'avais davantage envie de jouer au foot. Sur une pelouse, j'étais très, très calme. Je ne disais pas un mot."
Son coach, Lionel Zimbler, l'a pris en main alors qu'il n'avait que 20 ans et que la Fédération l'avait lâché. Si Benoît Paire est aujourd'hui beaucoup plus calme, le travail pour y arriver a été très long. "J'ai quitté certains de ses matches en le traitant de tout", admet Lionel Zimbler, avant d'expliquer le long processus qui lui a permis de comprendre son poulain : "Je suis parti à la recherche de ce qui pouvait entraîner ces dérapages réguliers. Dès le premier entraînement, j'ai déjà eu des pistes. Il était très dur avec lui-même, sur des choses sans rapport avec le haut niveau. Il ne voulait faire que des coups exceptionnels, toujours sentir la balle de manière incroyable, être toujours dans la facilité et le bien-être. Et puis, ce qui le gênait beaucoup, c'était le regard des gens. Quand il ratait un coup, il se disait qu'on se moquait de lui. Quand il faisait un coup moyen, il pensait que les gens se disaient qu'il était nul. C'est la première barrière qu'il a fallu faire sauter..."
Love et résultats
Et aujourd'hui, Benoît Paire contrôle mieux ses émotions. Résultat : le Français est en progression constante et pointe aujourd'hui au 26e rang mondial. "On n'est jamais à l'abri mais ça va beaucoup mieux. En ce moment, je me sens bien dans ma tête. J'ai envie d'être sur le court, de gagner des matches et je sais que cela passe par un bon comportement", confie celui qui affrontera le Japonais Kei Nishikori, 15e mondial, au troisième tour de Roland-Garros. Un Roland-Garros qu'il vit entouré de sa famille, lui qui profite tous les soirs d'un home sweet home loin des chambres d'hôtel aseptisées : "Tout le monde est là, depuis samedi, à part mon frère Thomas et sa femme qui arrivent ce soir [lundi 27 mai, NDLR] : mon entraîneur, son fils, ma copine Alexandra qui habite Paris, dans le 17e arrondissement. Je dors chez elle tous les soirs, ça me coupe un peu du cadre du tennis. J'ai mes habitudes chez elle, on se fait à manger le soir, c'est très sympa."
Tournois sans chaussures
Joueur atypique, Benoît Paire ? Certainement. Capable de s'avaler une pizza la veille d'un match face à Rafael Nadal ou de jouer au basket avec son pote suisse Stanislas Wawrincka jusqu'à épuisement alors qu'un match est programmé le lendemain. Tout est prétexte à se défier, jeux vidéo, foot, pétanque... "Le vrai problème, c'est que chacun de ces trucs dure des heures, on ne sait pas s'arrêter", explique le Suisse. Lionel Zimbler : "On ne peut pas dire que ce soit un garçon très structuré... Il vit sur le moment, à cent mille à l'heure. Parler d'après-demain, ça n'a pas de sens pour lui. Au début de notre collaboration, je voulais le rendre indépendant. Tu parles... Il s'occupe de l'avion à la dernière seconde... Tu arrives à l'hôtel et il a oublié de te réserver une chambre ; donc tu dors avec lui... Il arrive sur un tournoi sans chaussures... Des trucs qui me rendraient hystérique. Et lui : 'Pas grave ! On va aller en acheter !' Il trouve les pompes et, dans la foulée, il gagne le tournoi... Où est le problème ?" Pourtant, Benoît Paire des efforts comme l'explique son coach. Stanislas Wawrinka confirme : "Aller au resto avec lui est un enfer. Pâtes, pizza, burger sans sauce : à part ça, il n'aime rien. A Tokyo, jamais il n'a voulu goûter des sushis. Mais je suis d'accord avec Lio : on sent quand même qu'il essaie de faire des efforts."
Né gaucher mais jouant de la main droite à la suite d'un accident de toboggan, Benoît Paire est donc loin de l'image de caractériel qu'il donnait au début de sa carrière. "L'adjectif qui le qualifie le mieux ? Charmant. Tant dans son caractère que dans son apparence. Il est gentil et sociable. C'est quelqu'un d'agréable à vivre", indique sa mère. "Benoît est un mec génial mais particulier, avec des paradoxes très importants, reconnaît son entraîneur. Il est sans doute trop émotif. Mais c'est parce qu'il est à fond dans l'affectif. Or, quand il y a affectif, il y a toujours plus de souffrances."
Mais pour le moment, Benoît Paire ne souffre pas, à la différence de ses adversaires. Calme, posé et sûr de son tennis, le tricolore pourrait bien être la surprise de ce Roland-Garros 2013. A condition que Mr Hyde laisse tranquille le Dr Jekyll.