Figure très controversée de l'islam européen, Tariq Ramadan a vu son statut passer d'islamologue à celui de présumé agresseur depuis les plaintes de deux femmes en 2017, Henda Ayari, une ex-salafiste devenue militante laïque, et une autre femme surnommée "Christelle", dénonçant respectivement un viol en 2012 à Paris et en 2009 à Lyon. Ce 12 juillet 2022, le parquet de Paris a requis un procès aux Assises pour ces soupçons, mais aussi deux autres femmes. L'argumentation de la défense ? Après avoir d'abord nié des relations sexuelles extraconjugales, l'islamologue avait été contraint par les preuves numériques de reconnaître des "relations de domination", rudes mais "consenties". Ce sont les juges d'instruction chargés de l'enquête qui décideront d'un procès ou pas.
Au mois de février 2018, Tariq Ramadan avait été mis en examen puis incarcéré pendant dix mois. En février puis octobre 2020, il avait été mis en examen pour des viols sur trois autres femmes. Deux avaient été identifiées par la police sur des photos et des messages retrouvés dans son ordinateur, et la troisième, l'ex-escort girl Mounia Rabbouj, l'avait accusé en mars 2018 de neuf viols entre 2013 et 2014. Dans un document de 90 pages signé mardi dont l'AFP a eu connaissance, deux magistrates du parquet demandent le renvoi aux assises de l'islamologue de 59 ans pour "viols" sur Henda Ayari, Mounia Rabbouj et une des femmes identifiées sur photo, ainsi que pour "viol sur personne vulnérable" sur "Christelle".
Pour le parquet, il est clair que "malgré les dénégations répétées" de Tariq Ramadan, "il résulte des déclarations de l'ensemble des plaignantes que consentir à une relation sexuelle ne signifie pas consentir à être maltraitée, frappée, sodomisée au point d'en être réduit à un objet dénué de tout consentement". En précisant que le fait de consentir à une relation comme les plaignantes ont pu le faire n'est pas "un blanc-seing qui autorise une fois pour toutes le partenaire à dicter sa loi".
Sur son compte Twitter, l'accusé a notifié que l'un de ses avocats prendrait la parole à la télévision. Maître Ouadie Elhamamouchi, avocat de Tariq Ramadan, s'est donc exprimé sur BFMTV le soir même de l'annonce face à Maxime Switek : "Tariq Ramadan n'est pas étonné. Le parquet a toujours été extrêmement orienté dans cette affaire. (...) Nous n'avons absolument pas la même vision des faits. Des dizaines d'inventions et de mensonges. La plaignante 'Christelle' était sensée être mourante dans la chambre d'hôtel, sauf que des expertises ont prouvé qu'elle avait pu assister après à la conférence." Il ajoute qu'elle lui a envoyé après les faits dénoncés un texto : "Ta peau me manque." Par ailleurs, il rappelle qu'une plaignante a retiré sa plainte et que le Parquet a fait des expertises sans avoir entendu l'accusé. Selon son conseil, la brigade criminelle a prouvé que les plaignantes avaient menti et enfin, il souligne la collusion entre les femmes qui se connaissaient avant les faits dénoncés.
Le parquet a de son côté justifié ses réquisitions par une notion qui a rythmé ce dossier : les victimes "se trouvaient toutes sous emprise" de Tariq Ramadan "au regard de l'admiration voire de la vénération qu'(il) exerçait sur elles". Les avocats de l'accusé rejettent cette "emprise" et estiment que les plaintes sont le fruit de "déceptions sentimentales ou sexuelles" voire d'un complot politique, dénoncé par leur client.
Nul complot, a rétorqué le ministère public, d'autant que pendant l'instruction d'autres victimes potentielles "ont été identifiées mais n'ont pas souhaité porter plainte, certaines ayant même préféré transiger". Le parquet a évoqué "plutôt une prise de conscience commune ayant permis à certaines d'avoir le courage de dénoncer les faits dont elles ont été victimes".
Le sort judiciaire de Tariq Ramadan est désormais entre les mains des juges d'instruction. Il reste présumé innocent des faits qui lui sont reprochés jusqu'au jugement définitif de cette affaire.