Alex Beaupain : Amoureusement vôtre, un déluge, un délice...
Publié le 23 avril 2013 à 20:37
Par Guillaume J.
Alex Beaupain, Après moi le déluge, avril 2013 Alex Beaupain, Après moi le déluge, avril 2013
Alex Beaupain, Après moi le déluge, le clip
Alex Beaupain, Après moi le déluge, avril 2013
Alex Beaupain à l'Olympia pour la cérémonie du prix Constantin le 17 octobre 2011
Alex Beaupain primé aux César 2008 pour Les Chansons d'amour de Christophe Honoré.
Alex Beaupain en couverture de Telerama en avril 2013
Alex Beaupain, son ami Christophe Honoré et l'équipe du film Les Bien-Aimés au Festival de Cannes en 2011.
Alex Beaupain à l'Olympia pour la cérémonie du prix Constantin le 17 octobre 2011
Alex Beaupain à l'Olympia pour la cérémonie du prix Constantin le 17 octobre 2011
Alex Beaupain à l'Olympia pour la cérémonie du prix Constantin le 17 octobre 2011
Alex Beaupain en septembre 2011 pour la conférence de presse du Prix Constantin, en septembre 2011.
Alex Beaupain en septembre 2011 pour la conférence de presse du Prix Constantin, en septembre 2011.
Alex Beaupain, son ami Christophe Honoré et l'équipe du film Les Bien-Aimés au Festival de Cannes en 2011.
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Les Chansons d'amour, c'est sa spécialité (et pas seulement au ciné) ; les chansons faites avec amour, c'est sa spécificité. Pour passer notre amour à la machine, tout comme Souchon, Alex Beaupain a un don. Et tout comme Souchon, il ne prend rien à la légère, bien au contraire, même s'il peut en avoir l'air, l'air de rien.

Or, l'air et la chanson, on le sait, c'est pas la même chose. Ça a tôt fait de tourner à l'eau de rose ou de finir en eau de boudin. Pas chez Beaupain : son nouvel album, Après moi le déluge, ne noie pas le poisson et n'inonde pas le pêcheur de sanglots longs. Il sublime les beaux dégâts, cultive l'élégance de l'apocalypse, magnifie la cité engloutie de l'amour, illumine dans l'abîme ses grands monuments : le désespoir, la possessivité, le masochisme, la lassitude, le manque, la nostalgie, le sexe... "J'ai accepté le fait que je ne savais écrire que des chansons d'amour. J'essaye de faire en sorte qu'elle ne soient pas tout le temps dans le registre de la désespérance qui est ma porte d'entrée naturelle, ou de la mièvrerie", analyse posément pour l'AFP l'artiste de 39 ans, qui, contrairement à ses apparences discographiques, est réputé pour son humour mordant et son sens de l'auto-dérision.

"Exister à part entière"... Avec lui, quel délice !

Que d'eau, que d'eau... Alex Beaupain ouvre les vannes, et, au besoin, file la métaphore aquatique (Après moi le déluge et son clip qui éclabousse, le naufrage de Coule, la nage à contre-courant de Contre le vent, les capitaines de En quarantaine, la vague sonore qui déferle sur Vite), puisque le temps lui-même file ainsi (on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, observait déjà en son temps Héraclite, des siècles avant que Saint Augustin théorise la fuite du temps). Un temps dont il semble être devenu le maître-chanteur, qui, sous l'effet d'une plume à la rhétorique habile, d'allitérations et d'assonances, d'arrangements pléthoriques, et d'un sens intense de la scansion et de la respiration, se contracte et se dilate. Un bel exemple, Vite : "Tout va vite/A 200/Et pourtant/On se sent/Sans élan/Lent/Tout cet amour qui nous invite, je voudrais qu'on s'y précipite/Vite" : le morceau a beau prendre son temps et tourner en boucle, il témoigne bien d'une urgence amoureuse. Il a beau observer et détailler "les avions kérosène, les bisons dans la plaine, Ferrari McLaren, les chevaux dans l'arène, le vent, les avalanches, tous les jours cet amour avant qu'il nous quitte", il frémit et palpite : le temps qui s'enfuit et le coeur qui s'emballe, ce sont eux qui se disputent dans ces relances de batterie permanentes et cette superposition binaire - ternaire affolante, jusqu'à l'arrivée d'une main droite à la partie piano qui va faire basculer le titre dans une folie sublime tutoyant La Ritournelle de Sébastien Tellier...

De l'eau a coulé sous les ponts, depuis les débuts d'Alex Beaupain dans l'ombre, composant incognito ou presque chansons et bandes originales pour Christophe Honoré - 17 fois Cécile Cassard (2002) et Dans Paris (2006) -, et lui inspirant Les Chansons d'amour (2007), reconversion heureuse pour son premier album malheureux, Garçon d'honneur (2005). "Les Chansons d'amour a sauvé ma vie de chanteur", a-t-il admis a posteriori. Le talent n'étant pas une particularité qui s'ignore, il continuera de le faire, mais dans la lumière (La Belle personne, 2008, Non ma fille tu n'iras pas danser, 2009, Les Bien-aimés, 2011, présenté en clôture du Festival de Cannes), y compris pour ses oeuvres personnelles, 33 Tours (2008, Grand Prix de l'Académie Charles-Cros) et Pourquoi battait mon coeur (2011, dont le premier single, Au départ, a été très médiatisé lors de la campagne présidentielle de François Hollande), un chef-d'oeuvre et un tournant. "Ça m'allait très bien jusqu'à un certain point parce que ce sont ces bandes originales qui m'ont fait connaître, qui m'ont permis de continuer à faire des albums en tant que chanteur. Mais mon but c'était d'écrire des chansons et d'exister à part entière. J'ai été soulagé quand j'ai senti avec Pourquoi battait mon coeur que ça y était, qu'on m'identifiait comme chanteur", confie à l'AFP Alex Beaupain, déjà 39 ans sans même qu'on s'en soit rendu compte.

"Longtemps j'ai planqué ce truc-là"

Une identité qui va de pair avec une filiation enfin assumée, vis-à-vis de la grande chanson française : "J'ai compris que, profondément, j'aime la variété et la grande chanson française. Sur les précédents albums, j'essayais de mettre des trucs électro parce que je me disais que c'était la modernité. Sauf que je n'écoute pas ça chez moi", avoue-t-il. Aussi a-t-il convié sur Après moi le déluge La Grande Sophie, même génération (43 ans) mais figure d'aînée dans cette reconnaissance-là, et qui l'assiste dans l'effort Contre le vent, mais aussi Julien Clerc, qui vait fait appel à Alex Beaupain pour son dernier album et dont la signature est identifiable en deux mesures sur Coule. "Longtemps j'ai planqué ce truc-là parce que je me disais que c'était un peu manquer de personnalité d'être trop référencé. Mais en fait, c'est con. D'abord parce qu'on n'invente rien et puis parce que j'aime les artistes chez lesquels on retrouve ce qu'ils ont aimé, écouté. Je trouve assez beau cette idée qu'on soit des passeurs", revendique Beaupain, qui n'a même pas eu besoin de convoquer Alain Souchon pour faire du Souchon (Ça m'amuse plus). Une famille qu'il a réellement ralliée, comme en témoigne sa médiatisation inédite (plateaux télé chez Laurent Ruquier et Alessandra Sublet, couverture de Télérama...).

De l'eau a coulé sous les ponts, et a emporté avec elle quelques vieux démons qui ont joué un rôle particulier dans la précédente décennie : sa bisexualité, qu'il ne veut plus évoquer "parce que personne ne comprend la bisexualité", comme le rappelle Telerama dont Alex Beaupain fait cette semaine la couverture, ou le deuil de sa fiancée Aude, brutalement décédée en 2000, après dix ans d'un "amour fusionnel et naïf", et qu'il "serait obscène" à ses yeux de continuer à porter en chanson.

Transports amoureux

La lucidité n'étant pas l'ennemie de l'authenticité, l'intime affleure partout à la surface de Après moi le déluge, à l'image du désenchanté premier extrait, Grands soirs, ou du testamentaire Je suis un souvenir, une fresque vertigineuse du premier cri au dernier souffle. L'intime, qu'il soit le for intérieur ou, au contraire, l'empreinte dans la chair. Il n'est pas anecdotique, d'ailleurs, d'observer le parcours de l'album, d'un premier titre masochiste sur un amour pas payé de retour, à un dernier titre libidineux sur un amour sans amour.

Une laisse, des marques aux poignets, l'amour aveugle d'un soupirant "stupide comme une oie blanche", bienvenue au passage du désir, d'entrée, avec Je peux aimer pour deux, un titre d'ouverture modernement inquiétant (percus synthétiques, final électrique) mais modérément inquiet (voix posée, nappes de violons) : "Je lècherai les semelles de ton amour/Boiteux/Triste comme chien fidèle/Obstiné et honteux/Traite-moi plus bas que terre/Que m'importent les cieux/Fais moi vivre en enfer/J'en ai soupé du bleu/Et si tu ne parviens qu'à m'aimer mal/Ou peu/Va, ça ne me fait rien/Je peux aimer pour deux (...) Je veux sentir la laisse, je veux ma chair meurtrie, je veux que tu me blesses, et puis pousser des cris."

Une grosse quarantaine de minutes plus tard, Baiser tout le temps. Loin de l'initiale supplique, une fin beaucoup plus prosaïque ("Mets toi dans mes bras, mets toi à genoux"), tout aussi décomplexée, mais sans une once de brutalité : "Aies bien ça en tête/J'ai l'amour en haine/L'amour rend si bête/Aimons nous à peine/La vie c'est bien mieux/Sans ce baratin/Mais soyons sérieux/Allons dans un coin/Fumer dans tes yeux/Voir passer le temps/Et baiser un peu/Baiser tout le temps." Un épilogue charnel, aussi direct que gentleman, qu'Alex Beaupain doit à son grand ami le réalisateur Christophe Honoré, et qui laisse en douceur l'auditeur glisser vers la torpeur : post coïtum animal triste.

De l'un à l'autre, du début à la fin d'Après moi le déluge, par vagues, des passions, passées au sépia, passées par la déception, passées à l'as. Alex Beaupain nous submerge d'une onde enveloppante, où l'acoustique de base trouve des renforts intenses dans une instrumentation en émoi, un organisme vivant. Il déferle courtoisement, d'une voix égale et minutieuse, d'une mélancolie qui s'écoute et s'écoule en boucle, sans s'éroder. "Les chansons que je préfère, ce sont celles qui peuvent m'émouvoir au bout de la vingtième fois", dixit Axel Beaupain. CQFD.

Déluge verbal à la finesse fascinante, la chanson-titre Après moi le déluge maquille étonnamment la noirceur de son motif sous un déluge de sons vintage. Politique de la terre brûlée (ou plutôt inondée) appliquée à l'amour, elle s'embarque dans une petite folie eighties uptempo, façon When the rain begins to fall (Jermaine Jackson - Pia Zadora), et I'm still standing d'Elton John, avec une goutte de Kavinsky dans le refrain. Une partition incongrue mais diablement efficace pour le plan machiavélique de cet amoureux exclusif, ce tyran de l'amour incapable de voir partir son objet ("Ni Noé, ni refuge, après moi le déluge."). L'emballement général semble presque avoir été pensé uniquement pour mettre en relief la douceur trompeuse du refrain assassin, "Après moi je veux/Qu'on soit malheureux" : "J'apprends que tu t'éprends d'un plus grand, d'un plus beau, pourquoi ? Je t'écoute, ça me coûte, me dire combien c'est chaud dans ses bras (...) Je t'attelle, tu m'épelles F-I-C-H-E moi/La paix/Je t'implore, tu déplores d'avoir cédé une fois/Plus jamais (...) Je sais c'est moi qui t'ai/Quitté, mais toi qui t'es/Pour penser qu'après moi/L'herbe repoussera ? Après moi je veux/Qu'on soit malheureux."

Autre parti pris sur la déliquescence d'un amour, Pacotille, amer constat d'une relation en toc, ne verse pas dans un tel luxe : "Tout ce que tu m'as dit. Des broutilles, du vent, des conneries (...) Pacotille, ça te va comme un gant. Ça t'habille mieux qu'une robe Saint Laurent (...) Sans chichi sans dentelle, en guenilles tu manques de naturel." Aux cordes cinglantes des premiers couplets répondent les violons dramatiques de la fin, aux coups d'archet tranchants comme des rasoirs. Au milieu, un refrain acidulé (qui rappelle le Florent Marchet de Courchevel) et lyrique : "Mes pauvres yeux, par ton éclat abusés/Je n'ai plus qu'eux pour pleurer/Moi je préfère au verre blanc de ces fausses pierres/La lumière des solitaires."

Et en matière de dépouillement, quand un amour se délite, Ça m'amuse plus propose encore une autre démonstration. Effectivement pas amusante en dépit de ses jeux de mots aux allures de crime parfait ("j'ai mis au clou mon Cluedo"), la chanson traîne sa mélancolie telle une litanie : "Ça m'amuse plus, c'est plus du jeu, ça m'amuse plus, qu'est-ce que j'y peux/qu'est-ce que t'y peux ?" Mais lorsqu'à l'inverse, l'amour nous invite, "face à lui [on se] délite", "on hésite", "on se traîne, à la peine", déplore, glacé, Vite. Vibrant, palpitant comme un coeur, il enfle durant trois minutes, jusqu'à ce qu'une vague vienne se briser, assourdissante...

Les éléments ne sont pas favorables, et La Grande Sophie, qui sait bien qu'on veut tous "être quelqu'un d'autre pour une fois dans sa vie", vient épauler Alex Beaupain Contre le vent. Un "corps à corps", un "effort" pour "remonter le torrent, nager à contre-courant", qui détonne par son jeu de contrastes, d'étonnants intermèdes de rock teigneux ambiance Born to be wild en résolution en un refrain de ballade old-school façon Michel Fugain sur un travail à la quarte tout ce qu'il y a de plus classique. Ah, l'amour et ses montagnes russes...

Titre le plus court de l'album, le plus dépouillé et épuré aussi, En quarantaine aborde de manière placide, en compagnie de quelques cordes et à la première du pluriel, le cap de la vie que s'apprête à aborder Alex Beaupain, 39 ans. "Nous avons à présent des amis de 20 ans, des neveux au collège (...) Nous voici dans leurs traces, sans avoir pris leur place (...) La poussière a gagné, tout est écroulé et puis sans avoir rien compris, brusquement nous voici en quarantaine, il se fait tard." Placide, car si les paroles sont imprégnées d'une certaine morosité, le titre est baigné de lumière, par la grâce d'une modulation inattendue et de vents favorables. Un petit crépuscule.

Une intro piano et pompe, une première phrase mélodique, c'est tout ce qu'il fallait pour reconnaître la patte de Julien Clerc, fabuleux mélodiste et interprète soigneux, sur Coule, qui lui ressemble vraiment comme deux gouttes d'eau (il faut dire qu'il s'y connaît en Aventures à l'eau). Alex Beaupain y navigue, avec une fausse insouciance ("Je coule, c'est cool, vraiment ne t'en fait pas. C'est juste mon monde qui s'écroule à cause de toi.") empruntée à son maître, sur "une mer de sanglots, il faudrait des heures pour atteindre le rivage" : "Je suis un skipper en plein naufrage, un petit baigneur largué sans bouée (...) Je perds pied, je me noie. Faut tout refaire à l'intérieur de moi." Dommage que le capitaine soit en quarantaine...

"Que reste-t-il de nos grands soirs quand s'en vient le petit matin ?", se demande ensuite (Grands soirs) Alex Beaupain, qui peine à reprendre pied et chante, entouré d'un piano miroitant et d'une pulsation sourde, les désenchantements : "Tes grains de beauté dans le dos/C'est à peine si je m'en souviens/C'est comme les fleurs, les photos/C'est comme les vieux horaires de train/C'est comme ranger dans un tiroir/Ça fane, ça jaunit, ça déteint." Tout passe, tout y passe, jusque dans la fin du morceau, en fading out pour une fois... Premier temps d'un triptyque marqué du sceau de la nostalgie : Profondément superficiel, une rafraîchissante brise sixties et soul, Alex cheveux au vent façon B.B., sonde de manière amusante les trous de mémoire de notre presque quadra - "Et si c'était moi, le moineau sans cervelle ?"

Une légèreté que ne partage pas le ténébreux Je suis un souvenir, un morceau de bravoure dramatiquement intime, une fresque haletante, un biopic de plus de six minutes qui est à Alex Beaupain ce que Avec le temps est à Léo Ferré : "Je suis ma soeur qui pleure, parce qu'à 12 ans je dis que je voudrais qu'elle meure, je suis mes saloperies... (...) Je suis la vie qui passe, déjà, je suis un train et des photos de classe (...) Je suis un dernier souffle, je suis un premier cri, un vieil homme en pantoufles, un bébé en body, je suis tout résumé, le meilleur et le pire, quand tout est consumé, je suis un souvenir."

"Les chansons, ce ne sont pas des blagues, c'est important", dit Alex Beaupain. On s'en souviendra encore après avoir écouté vingt fois les douze titres de l'album Après moi le déluge.

Guillaume Joffroy

Alex Beaupain, Après moi le déluge, album déjà disponible.

En concert au Printemps de Bourges le 26 avril, à l'Olympia de Paris le 13 mai, et en tournée.

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