Dans Boomerang, son franc-parler, sa nature directe et son charme indéniable font mouche. On pourrait la croire dans l'ombre de Laurent Lafitte et Mélanie Laurent, ces frère et soeur de fiction et héros du film de François Favrat, mais ce serait mentir tant, finalement, le personnage d'Audrey Dana pèse dans l'intrigue. La jeune femme de 38 ans y incarne une thanatopractrice, c'est-à-dire qu'elle nettoie les morts avant leur inhumation. Une femme solitaire, indépendante, rentre-dedans, intelligente et rassurante à la fois. Inutile de préciser que Laurent Lafitte, ce héros toujours aussi séduisant, va finir par en pincer pour elle. Mais au-delà du côté romantique, son arrivée (tardive) va coïncider avec le déblocage d'une intrigue passionnante : Antoine a des doutes sur la mort de sa mère, un décès dont il croit qu'il a été maquillé par ses proches, à commencer par son propre père.
Au micro de Purepeople, c'est une Audrey Dana naturelle, pipelette comme on aime, mais surtout intéressante, qui s'est confiée. Son rôle, ses projets, son enfance dans la boue, ses enfants mais aussi ses convictions de femme, elle dit tout !
Je suis arrivée au beau milieu. C'était déjà une famille, il n'y avait pas cette ambiance de premier jour de tournage avec la nervosité, la pudeur, la politesse de circonstance. Non, là, ça faisait la gueule quand ça devait faire la gueule... C'était un ton juste pour le film.
En général, quand on me propose des personnages qui me ressemblent beaucoup, je n'ai pas forcément envie d'y aller, parce que ça m'ennuie. Ce que j'aime, c'est mettre les chaussures d'autres et voyager. Sur ce film, elle me ressemble ou je lui ressemble si on veut, mais elle fait surtout un métier très opposé au mien, parce que moi, je donne vie aux personnages alors qu'elle maquille des morts. Cette dimension m'a intéressée : comment on arrive à cette forme d'indépendance à un tel métier, son rapport à la mort. Cette fille est légère dans son rapport avec la mort, elle est en paix avec. Et c'est un gros problème dans notre société, c'est une obsession. Ne pas être OK avec la mort, c'est ne pas être OK avec la vie. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir des doutes.
C'est marrant parce que je disais à mon fils aîné : "Tu sais, petite, je voulais toujours être plus grande alors que toi tu veux rester ado." Sa vie d'ado est loin de ce que j'ai vécu, en communauté avec 30-40 personnes. Je vivais avec des enfants de la DDASS, des enfants qui n'avaient pas de parents, qui avaient été abusés, violés ou battus par leurs parents. Il y avait une tension et une violence chez moi qui étaient très fortes, mais je suis reconnaissante à tout ça parce que ça m'a ouvert au monde alors que j'aurais pu être une pétasse sans conscience. Mon enfance était chaotique et très surprenante à la fois. Il y avait toutes les religions, les nationalités, les origines sociales. C'est un endroit où j'ai aussi expérimenté les drogues, chose que normalement on fait en dehors de chez soi. C'était le bordel. J'étais au milieu de nulle part et en même temps au coeur de la vie.
Dans ma famille, ce n'est pas tant qu'il y avait des secrets, mais plutôt des dénis. Dans ce film, il y a des deux. En ce qui me concerne, j'ai su lever le voile, notamment à partir du moment où je suis devenue mère. C'était vital. Je n'ai pas de secret, je n'ai pas de non-dits.
Je suis hyper heureuse dans ma vie, en harmonie avec là où j'en suis, et ce, à tous les niveaux. Je suis en accord avec qui je suis. Je dis merci tous les jours parce que j'ai conscience du monde dans lequel je vis. J'adore ce que ma carrière est devenue, comment on est venue me chercher, ou même la brutalité avec laquelle Sous les jupes des filles a été accueilli, ce que cela m'apprend de moi, du pays dans lequel je vis.
Ils ne me considèrent pas une actrice, mais plus comme une artiste. Je tourne autant que j'écris à la maison. J'ai un fils de 6 ans qui est très acteur, on dirait moi quand j'avais son âge et c'est à cet âge-là que j'avais formulé mes désirs de comédienne. Il est très interprète, il se fait des délires que j'adore. Mon grand a 15 ans, lui. Ils sont très discrets tous les deux, je leur demande de l'être. Ils ne se la racontent jamais.
Je suis tous les soirs avec mes enfants, il faut vraiment une première pour m'arracher du domicile familial et que je ne couche pas mes enfants. Je ne fais pas la fête, je ne sors pas. Je suis hyper maman en fait. C'est mon essentiel. Mais je suis aussi pro-père. J'aime que leurs pères aient cette place-là.
La mienne, c'est Florence Foresti qui a dit ça un jour : "Être féministe, c'est être humaniste." Les cases, ça m'emmerde. Evidemment que je suis féministe, que je suis pour l'équité et pas seulement des femmes avec les hommes. Les changements viennent de commencer, on ne change pas des milliers d'années de patriarcat en une seconde. Je crois que le monde irait beaucoup mieux s'il y avait plus de femmes au pouvoir. J'aurais même tendance à penser, parfois, que je dormirais mieux si on était dirigés que par des femmes. Mais globalement, je ne suis pas plus pour les femmes que pour la planète ou contre l'industrie agro-alimentaire ou les ravages des téléphones portables. Moi, les cases, coller une étiquette, ça m'emmerde !
Si j'étais un homme, c'était l'histoire d'une femme qui est arrivée au bout des hommes. Elle a été trahie, trompée, a eu deux enfants, son rêve de famille idéale a explosé en vol... Elle s'appelle Jeanne [qu'Audrey Dana jouera, NDLR], elle est touchante et désarmante de naïveté, du genre à lui marcher sur la gueule. Elle est dégoûtée des hommes et du sexe. Et un matin, elle se réveille avec un sexe d'homme entre les jambes. Et il se trouve que j'en ai rêvé, il y a 15 ans de cela. Quand on écrit, c'est surtout l'inconscient qui travaille. En écrivant, je ne me suis même pas rendu compte de tout ce qu'il y avait de ma vie dans cette histoire.
Ce film sera l'histoire de comment cette femme va apprivoiser ce nouvel ami ou cet intrus. C'est un voyage dans le masculin et une rencontre avec son féminin. C'est un boulevard de comédie, j'ai passé une année à l'écrire et ça pourrait presque devenir une série. Je me suis éclatée à l'écrire avec Maud Ameline et je crois que c'est réciproque pour les gens qui l'ont lu. Dans toute l'histoire du cinéma, on n'a jamais fait un film pareil et je crois qu'il met le doigt où ça fait mal. J'ai rencontré beaucoup d'hommes, de femmes, de sexologues, d'urologues. Et puis je suis partie de ces femmes, sans doute élevées par de grands misogynes qui pensent qu'il en faut une pour s'imposer. Donc c'est une femme qui n'a jamais pris sa place parce qu'elle pense qu'elle n'y est pas autorisée. Est-ce que, du coup, en avoir une [paire de couilles] va lui permettre de... ? C'est tout le débat du film. C'est un film profondément féministe dans le sens joyeux du terme, et aussi une invitation à se réconcilier avec les hommes.
Christopher Ramoné