"La dernière fois que j'ai posé pour des photos, il y a plus de dix ans, c'était justement avec lui [Paolo Roversi], pour Vogue Italie." Dix ans plus tard, Beatrice Borromeo est bel et bien la magnifique femme qu'elle promettait alors de devenir, et le prouve devant l'objectif : "C'est comme retourner à l'adolescence", savoure-t-elle. Fatale et candide à la fois. On en oublierait presque qu'elle n'a pas tardé à tourner le dos au mannequinat et au diktat de l'apparence pour s'imposer, diplômée de Columbia, comme une brillante journaliste d'investigation et d'opinion, opiniâtre, qui n'a pas peur de se frotter aux matriarches de la mafia calabraise, un micro planqué sous ses vêtements, ni de jouter avec des personnalités influentes. La mode garde toutefois ses faveurs : mais c'est "un intérêt sain" qu'elle lui porte, comme elle le revendique dans le Vogue transalpin et comme on l'a vérifié à l'occasion de la Fashion Week de Milan qui vient de s'achever dans la cité lombarde, à laquelle elle a pris part en compagnie de sa belle-soeur la styliste Marta Ferri. Un intérêt sain qui n'exclut pas, pour le plaisir, une petite pige comme modèle.
D'habitude, je ne m'expose pas...
Mannequin un jour, mannequin toujours, voilà un adage qui sied bien à l'aristocrate italienne, entrée officiellement cet été dans la famille princière de Monaco par son mariage avec son amoureux de longue date, Pierre Casiraghi, fils de la princesse Caroline et accessoirement...mannequin pour Berluti. Pour Vogue Italie, qui a choisi de faire de la jeune mariée son héroïne de rentrée, Beatrice Borromeo, 30 ans depuis le 18 août, retrouve le photographe Paolo Roversi, dix ans plus tard. En couverture du supplément Vogue Unique spécial Haute Couture, la belle impose son charisme incandescent dans une mise en scène ombrageuse : une lumière crue et des tons froids mettent en exergue son teint diaphane et sa blondeur, les ombres dessinent son visage fin trônant sur un long cou échappé d'une tenue de plumes noir corbeau (Chanel Haute Couture), son regard perçant, ses lèvres intenses (le fameux Rouge Allure de Chanel) entr'ouvertes et ses cheveux un peu bohèmes couronnés d'une natte (un travail de Shuko Sumida) créent la vie dans ce décor aride... On pense à Charlize Theron en impérieuse reine noire dans Blanche-Neige et le Chasseur.
En pages intérieures, le shooting s'étoffe, épique et sombre, digne d'une reine de Game of Thrones. Valentino, Chanel et Giorgio Armani Privé (à qui Beatrice devait sa somptueuse robe de mariée) se relayent pour la sublimer, avec une sophistication que cette adepte du casual transcende. La preuve en images, disponibles sur le site de Vogue Italie. "Plus qu'un photographe, c'est un peintre", dit-elle de Paolo Roversi dans l'entretien accordé à la journaliste Fiamma Sanò à l'occasion de cette séance photo au goût de jouvence. Le résultat corrobore son analyse. "D'habitude, je ne m'expose pas, je suis déjà plus exposée que je le voudrais. Et s'il ne s'agit pas d'un engagement lié au travail, je m'efforce de me tenir à l'écart des projecteurs. Mais une couverture de Vogue à montrer à mes petits-enfants quand je serai vieille, ça m'amusait trop", explique Beatrice Borromeo lorsqu'on lui demande s'il a été naturel pour elle d'accepter de réaliser ce shooting.
En tout cas, certainement pas par vanité. "Il n'y a que des défauts qui me viennent, commence-t-elle ainsi par répondre lorsqu'on lui demande d'énoncer son plus grand talent. Mais peut-être ma capacité à me connecter avec les personnes que je rencontre et que j'interviewe pour mon travail." Journaliste pour Il Fatto Quotidiano, contributrice notoire de Newsweek et The Daily Beast, elle se passionne pour le terrain, l'enquête, l'échange, le documentaire, et les idées ne lui manquent pas : "J'aime raconter des histoires, je veux que mon travail ait un impact social", revendique celle qui a fait sensation récemment avec un document télévisé exceptionnel sur les mammas de la mafia et se penche actuellement sur la prostitution infantile dans le nord du pays. Son interlocutrice tente alors, à propos de social, de franchir la frontière entre public et privé, invitant l'épouse de Pierre Casiraghi à parler de sa participation à des oeuvres caritatives (on peut penser en particulier au traditionnel Bal de la Rose à Monaco) : "Quand on s'engage dans la bienfaisance, il ne faut parler que lorsque cela sert à quelque chose, pour promouvoir une cause ou inciter les gens à participer", élude-t-elle.
Je dois réorganiser ma vie, maintenant
Ce qui ne veut pas dire que Beatrice Borromeo, qui ne cherche absolument pas à être devant la caméra et érige la salle de montage en "religion", se refuse à parler de sa propre vie. Au contraire, elle a appris à considérer sa position, celle d'une aristocrate qui a choisi de devenir une reporter aux convictions politiques et sociales entières : "Je sais que je suis une contradiction, remarque sans ambages cette descendante des princes Borromée. Pendant bien des années, j'ai gardé sous contrôle les moindres facettes de mon caractère, uniquement par peur d'être critiquée. Puis je me suis arrêtée d'éprouver de la culpabilité pour des données objectives, comme la famille dans laquelle je suis née où la personne avec laquelle je vis. Il y a des aspects de moi que j'estime plus que tout, en premier lieu mon travail. Mais un aspect ne fait pas à lui seul une personne, c'est un tout qui la définit. Il faut accepter le fait que les choses sont compliquées, et accepter la critique avec sérénité."
Elle impose ses idées avec passion et élégance, elle les expose "comme un fleuve en furie courant dans un doux paysage de collines", dépeint Fiamma Sanò en l'écoutant. "J'ai vécu dans tant de mondes, philosophe paisiblement Beatrice Borromeo. Cela vous fait courir le risque de vous laisser porter par la pensée des autres. Je crois que pour moi, l'authenticité, c'est de défendre ses propres idées en ayant le courage (...) d'en changer."
Femme désormais mariée mais toujours travailleuse acharnée, madame Beatrice Borromeo, parmi ses nombreux projets, souhaite désormais s'atteler à la rédaction de son premier livre en solo, quelques années après avoir été co-auteure de l'essai politique Italia Annozero avec Vauro Senesi et Marco Travaglio : "J'ai quelques idées, mais j'ai besoin de faire redémarrer la machine avec de nouveaux engrenages, et de réorganiser ma vie maintenant que je vais passer plus de temps à Monaco."
Guillaume Joffroy