Non, Bernard Tapie n'est pas mort. Tellement pas mort que le journaliste Pascal Praud l'a eu en direct au téléphone dans son émission matinale L'Heure des pros (C News), le 1er novembre 2019, pour recueillir sa réaction au lendemain de l'annonce à tort de son décès par le quotidien Le Monde.
Le journal de référence, trahi par une "défaillance technique" selon ses explications ultérieures, a mis en ligne par erreur pendant un peu moins de 20 minutes une nécrologie de "l'homme aux mille vies", selon la formule utilisée en titre du texte cosigné par les journalistes vedettes Gérard Davet et Fabrice Lhomme - fameux révélateurs de scandales en haut lieu et auteurs entre autres du best-seller Un président ne devrait pas dire ça.... Le portrait de l'homme d'affaires de 76 ans, qui se bat depuis 2017 contre un cancer de l'estomac qui s'est propagé à l'oesophage, contenait des espaces à remplir en fonction de la date de sa disparition...
Surtout ne pas rater la date et l'heure !
Après une première réaction pleine d'esprit diffusée sur Twitter par son ami Franz-Olivier Giesbert, qui l'a joint par téléphone pour l'entendre plaisanter que "l'annonce de [s]a mort par Le Monde est, comme disait Mark Twain, "très exagérée"", Bernard Tapie s'est exprimé de vive voix dans le programme animé par Pascal Praud.
"Vous ne me croirez pas, mais je n'y ai pas cru. Je me suis dit : "Tiens, j'ai l'impression que je m'en serais aperçu !", commence par dire l'intéressé, riant un peu jaune. Et tout de suite après, j'ai cité Mark Twain, connu pour ses citations drôles (...) J'ai trouvé ça très exagéré, en gros." Pas "choqué" pour autant, comme il l'a en parallèle confié à Audrey Crespo-Mara sur LCI, il a toutefois fait remarquer que des personnes de son entourage ont été "attristées" par cette bourde.
Dans un second temps, le patron de presse - actionnaire majoritaire du groupe La Provence -, connaissant les coulisses et ficelles du métier, s'est montré indulgent concernant la gaffe du Monde : "Ça peut arriver. Je sais qu'il y a des gens qu'on enterre avant qu'ils soient morts. Pour surtout ne pas rater la date et l'heure, pour être les premiers, on écrit déjà la nécrologie, ce qui fait que quand on dit "il est mort, ça y est, il est mort", tac on appuie sur le bouton, on envoie", a-t-il commenté.
J'aurais espéré que Le Monde confierait ma nécrologie à d'autres personnes
Il s'est en revanche montré moins amène au sujet de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, très assidus sur "l'affaire Tapie" et à charge à l'endroit de son protagoniste : "Compte tenu des prises de position qu'ont prises ces deux journalistes dans Le Monde, observe-t-il, et du nombre de journalistes de qualité qu'il y a au Monde, j'aurais espéré qu'ils confient ma nécrologie à d'autres personnes. Ce sont ceux qui ont passé les vingt ans qui viennent de se passer à me démolir. Eux, ces deux-là - avec quelques-autres bien sûr, ils ne sont pas tout seuls et ils ne manquent pas de talent -, je pense que la vérité de la nécrologie qu'ils citeront quand je serai mort, ce sera la chanson "On a gagné, on a gagné". Ils vont chanter, il ne faut pas les priver de ce plaisir, mais qu'ils attendent quelques semaines, quoi, bon..."
Un dénouement pessimiste qui est plus un trait d'humour noir grinçant qu'une prophétie, car le caméléon des affaires et de la politique continue à se battre. Même si l'été, après la rechute de son cancer au printemps dernier, a été "très très dur" et l'a vu, très affaibli et amaigri, s'éloigner de l'espace médiatique, selon ses propres confidences récentes à La Provence, il est désormais soigné à l'institut Paoli-Calmettes de Marseille "grâce à une technique encore unique en France".
Sur LCI, Bernard Tapie a ajouté avoir "appelé les auteurs" : "Paradoxalement, ce sont deux types que j'aime bien, a-t-il assuré. Ils ont du talent, la preuve c'est qu'ils font beaucoup de fric avec des livres." Et s'il a rappelé qu'ils ont été "très, très durs avec [lui] sur la polémique pénale", il a aussi martelé qu'il évitait de se faire trop de bile et qu'il a "une pêche d'enfer dans un contexte où la maladie ne faiblit pas", tout simplement parce que le contraire serait contre-productif.
C'est extrêmement dur
"Il faut essayer de comprendre la maladie elle-même, a-t-il ainsi encore expliqué à Pascal Praud, qui est un combat entre vos cellules malades et vos cellules saines. Et le fait est que les cellules saines ont besoin non pas de votre moral mais de toute votre énergie pour être capable de combattre des cellules malsaines. Et les traitements qu'on reçoit mettent tellement KO que j'ai vu autour de moi beaucoup de gens qui ont lâché prise." Et d'embrasser, vaillant, un rôle d'ambassadeur des malades du cancer : "Il faut profiter de chacune de nos expériences quand on peut les partager. C'est extrêmement dur, mais c'est un combat qui vaut le coup d'être mené pour deux raisons : la première, c'est que les progrès sont tellement rapides (...), c'est pas perdu d'avance, ça vaut le coup de se lever, même si c'est dur de monter les escaliers (...) ; et puis, imaginez que j'aie dit les mêmes choses si je n'avais pas eu le cancer moi-même... (...) Comment peut-on parler de la misère, de l'insuffisance de moyens à des gens quand on ne fait pas partie de ceux-là ? C'est impossible ! Donc il faut donner la parole à ceux qui sont dans le même cas, de manière à ce que ça ne soit pas toujours les choisis du destin qui parlent à ceux qui ne le sont pas."
L'entretien en direct dans L'Heure des pros s'achève immanquablement sur la condition fragile d'un autre patient : l'Olympique de Marseille, club dont il fut le président triomphant et qui vit des heures sportives difficiles. "Il faut attendre que ça aille mieux", élude-t-il. A chacun ses maux.
GJ