On ne pouvait faire plus actuel. Ce mercredi sort en salles Le ciel attendra, titre ô combien symbolique pour un film ancré dans la réalité. Traitant du thème de l'embrigadement en suivant la trajectoire de course de deux adolescentes (l'une l'est déjà, l'autre pas encore), le nouveau long métrage de Marie-Castille Mention-Schaar frappe fort là où ça fait mal. Aussi touchant que pédagogique, fort mais jamais excessif ou pathos, il interpelle.
Il fallait qu'on soit à la hauteur et juste
Têtes d'affiche de ce film nécessaire, Clotilde Courau et Sandrine Bonnaire se sont confiées au micro de Purepeople. Elles ne l'ont pas caché, s'engager dans un tel projet "fait peur" et demande "une forme d'exigence encore plus importante sur le fait qu'il ne faut pas rater le film". Mais elles ont vite été rassurées, entre "un scénario solide", le sérieux de Marie-Castille Mention-Schaar (qui s'était illustrée sur un autre sujet actuel dans Les Héritiers) et la participation de Dounia Bouzar, une anthropologue qui a signé de nombreux livres sur le sujet. "J'ai déjà fait des films engagés mais celui-ci est différent car il traite d'un sujet actuel. Il fallait qu'on soit à la hauteur et juste", précise Clotilde Courau.
À en croire sa complice à ses côtés, Le ciel attendra n'est "ni dans le jugement ni dans le moralisme" et c'est ce qui fait sa force. Sans fard, les comédiennes, tous deux mères de famille (elles ont deux filles chacune), ne cachent pas que la réalité a souvent pris le pas sur la fiction. Et leur manière de jouer, d'appréhender leurs personnages a été biaisée. "C'est sûr qu'à 25 ans, on n'aurait pas pu jouer une mère de cette manière. On ne peut pas dire que le fait d'être mère dans la vie n'influe pas ici", assure Clotilde Courau, maman de Vittoria (12 ans) et Luisa (9). Sandrine Bonnaire ajoute : "Ça fait forcément écho, on se projette. Je voyais ma grande en me disant 'et si elle était dans cette situation'. Et puis c'est con, mais de se dire 'bon est-ce qu'elle écoute de la musique, les posters au mur sont toujours là'... La petite a 11 ans et je me dis que dans deux ou trois ans, je vais devoir faire plus gaffe."
Selon l'actrice de L'Ombre des femmes, "c'est pour cela que le film est fort, c'est parce qu'il permettra d'avoir des réflexes, ou au moins de faire attention". "On a tous des adolescents, enfants, petits neveux, etc. Pour se faire embrigader, on peut tout simplement s'enfermer dans sa chambre et derrière un ordinateur. Il faut qu'on soit très vigilant", poursuit-elle. Quant à Sandrine Bonnaire, mère de deux enfants, Jeanne (22 ans, fille de William Hurt) et Adèle (11 ans, fille de Guillaume Laurant), elle dit avoir "échangé avec la grande" sur le sujet, mais ne s'est "pas posé la question avec la petite" parce qu'elle ne sait "pas à quel moment il faut en parler".
Si j'avais eu 16 ans aujourd'hui, je ne garantis pas que ça n'aurait pas pu m'arriver
Du côté des adolescentes, le sujet est pris différemment. Noémie Merlant, qui a joué dans Les Héritiers et incarne avec brio le personnage de Sonia (déjà embrigadée et qui revient à la vie normale après avoir été stoppée avant de s'envoler en Syrie), croit savoir que le film lui a "donné plein de clés pour comprendre, mais également de l'espoir". "Ce film va permettre de créer du dialogue, du lien, de ne pas rester dans cette peur", assure la jeune comédienne. Pour Naomi Amarger, qui campe l'autre adolescente, participer à cette oeuvre a changé son regard. "Je pensais que ça n'arrivait qu'aux autres, aux jeunes de banlieue qui n'allaient plus à l'école, qui avaient des problèmes dans leurs familles. Le stéréotype de l'adolescent paumé", confie la jeune femme.
Ensemble, les deux filles se sont interrogées sur les raisons qui poussent certains de leurs camarades de collège ou de lycée à basculer. "Le malaise de société, un manque de spiritualité, on doit faire des études, avoir un travail, gagner de l'argent, puis mourir. Mais on a fait quoi pendant ce temps ? Il faut remettre du sens dans les choses. Daech utilise ce questionnement, cette quête de sens que l'on a encore plus à l'adolescence", dit Noémie Merlant. "Si j'avais eu 16 ans aujourd'hui, je ne garantis pas que ça n'aurait pas pu m'arriver. Parce que je l'ai eue, cette quête de sens", surenchérit Naomi.
Voilà donc tout l'intérêt de ce film qui nous apprend beaucoup sur un sujet méconnu. "Quand on est mieux armé, on a un peu moins peur", soutient Noémie, qui donne ensuite la meilleure raison d'aller voir ce long métrage : s'armer, pour avoir moins peur. Et voir que des armes, il y en a.
Christopher Ramoné