Florent Marchet, Gaëtan Roussel. Rencontre impromptue. Deux orfèvres plus dociles à la pénombre de l'atelier qu'au clinquant des projecteurs. Deux loups dans les steppes - en voie de raréfaction - d'une belle chanson française fière de son attirail, dont les itinérances sauvages se sont croisées, presque par inadvertance.
En fait, il fallait un puissant entremetteur pour les inciter à partager une même tanière (celle de Florent, voir les images exclusives de leur rencontre), pour laisser un instant l'invitation au voyage que constituent leurs oeuvres respectifs et répondre à l'invitation au partage de leur association inespérée : c'est un souvenir commun de Stephan Eicher qui sera le ciment. A l'initiative de Florent Marchet, Gaëtan et lui reprennent Des hauts, des bas, un sommet dramatiquement méconsidéré du Suisse, à l'image de son répertoire superbe, injustement réduit à ce fameux Déjeuner en paix...
En 1993, au zénith de sa révélation, Stephan Eicher (qui poursuit toujours une carrière acclamée et prolixe en albums, lui qu'on retrouvait dernièrement à la relecture des Volutes de Bashung sur l'album hommage TELS), portait en musique et interprétait ce texte urgent et torturé de son complice de toujours, l'écrivain Philippe Djian, sur une toile de fond pop-rock sombre et nerveuse assommée de coups de caisse claire. Un morceau, présent sur l'album Carcassonne (1993), qui a des résonances intimes et artistiques chez Marchet comme chez Roussel (découvrez leurs témoignages à la fin de cet article). Leur reprise, en écoute dans notre player, est une vraie réinvention, un update très inspiré de la version originale : on y retrouve ce balancement très évocateur des nineties, mais les effusions rock, rappelées par un morceau de bravoure foudroyant (la guitare électrique quasi-finale), laissent place à une incursion disco-synthétique et à des arrangements élaborés de haute volée qu'on rattache instantanément à nos deux récents compères. Ajoutons à la partition l'alchimie parfaite de deux voix marquantes : celle, souple comme un chat, élégiaque et ouverte sur son vibrato plein de vie, de Florent, et celle, trappue et chaude, légèrement voilée et plus incisive, de Gaëtan... L'accord parfait : la rime, entre ces deux-là, n'existe pas qu'avec les prénoms.
Le résultat sonne brillamment comme une réhabilitation en bonne et due forme.
Et l'on se pique maintenant d'entendre le tandem poursuivre sa collaboration. En 2010, Gaëtan Roussel et Florent Marchet offraient deux des plus beaux albums de chansons de l'année. Le premier, qui a fait bien plus que gagner ses galons en tant qu'artisan de l'ombre, au-delà de son parcours avec Louise Attaque et Tarmac, en oeuvrant sur le crépusculaire et magistral album Bleu Pétrole d'Alain Bashung, a reçu une consécration éblouissante pour son premier album solo, le discoïde et très contemporain Ginger, multi-primé (Grand Prix de la Sacem, trois Victoires de la Musique). Le second, transcendant encore tout le bien qu'on pensait de lui après le succès d'estime de Rio Baril, a fourni une nouvelle démonstration éclatante de sa science pointilleuse et sensitive avec Courchevel. Arrangements audacieux et hors norme (dominés par un orgue Solina), sens mélodique et de l'architecture musicale exemplaires, élégance d'une langue bien vivante et savamment composée, mais tout sauf verbeuse, qui hisse des considérations d'une vision percutante au rang d'abécédaire utile à tous, si ce n'est indispensable. Courchevel a les attributs positifs, la glisse et le luxe, de la station VIP à laquelle il s'adosse : la glisse fun et voluptueuse de musiques magiquement poudrées, le luxe de textes chic et francs, magnifiés au poinçon de l'intégrité intellectuelle. Et réciproquement.
Guillaume Joffroy
" DES HAUTS, DES BAS " - L'histoire de Florent Marchet :
Je me souviens de 1993. À cette période, j'ai encore un pied dans les sables mouvants de l'adolescence. Tour à tour débridé, tour à tour retenant mon souffle, j'ai toute la vie devant moi et j'en attends beaucoup. "Des hauts des bas" d'Eicher passe à la radio. Je suis d'abord frappé de plein fouet par les mots. Mais la mélodie me happe autant que les phrases "je comptais vivre fort", la pluie venait du Nord" ou encore "j'ai même eu ce que je ne voulais pas". Les profondes fulgurances de Djian avec la force mélodique d'Eicher. Cette chanson m'est toujours restée en mémoire. En 2010 j'écoute en boucle l'album Ginger. Gaétan est un artiste que je suis depuis longtemps. Je me dis qu'il a cette élégance animale que je retrouve chez un Dalmon Albarn par exemple. Lorsque je rencontre Gaétan, nous nous rendons vite compte que nous partageons ce goût pour une musique pour ce que je qualifierais de sucrée et boueuse. Nos deux voix, quoi que très différentes, s'accordent plutôt bien. Les rencontres sont précieuses. Nous décidons donc d'enregistrer "des hauts et des bas", de tenter de donner à cette belle chanson un nouvel éclairage et surtout de la partager. Voilà!
" DES HAUTS, DES BAS " - L'histoire de Gaëtan Roussel :Rêver d'enregistrer un album. Chanter dans un micro. Donner des concerts. Etre sur la route. Ne pas boire tout le stock de bières avant le concert. Payer les traites du camion. Ecouter très fort Tostaky. Ne pas s'endormir au volant. Jouer notre set en deux fois pour que les gens consomment pendant l'entracte. Décaler un peu le flipper pour poser la batterie. Profiter d'une belle salle de concert. Ne pas trop sécher les cours d'école d'archi. Tiens, nous avons des retours ce soir ! Faire la promo de notre cassette, en vente au bar, pendant le concert. Rejouer le premier set une deuxième fois ! Tiens, c'est quoi cette petite pièce derrière la scène ? Des loges ! Aller et puis revenir, ici et là, découvrir la vie de groupe, la scène, apprendre...
1993, il y avait des hauts, il y avait des bas.
Tout cela m'est revenu en tête quand Florent m'a proposé de reprendre avec lui cette chanson de Stephan Eicher. J'aimais déjà à l'époque la mélodie pop et le texte de Djian. Je l'ai toujours gardée en mémoire cette chanson. Je ne connaissais pas très bien Florent avant cette proposition de duo. Courchevel est un très très bel album et Florent est un artiste dandy sensible, curieux, accueillant et ouvert (liste non exhaustive!). Merci pour ce cadeau. Merci pour l'invitation au partage !
Gaëtan