Isabelle Huppert en bourge intello dérangée par un Benoit Poelvoorde franchouillard ressemble à tout sauf à un film, et pourtant, c'est l'histoire de Mon pire cauchemar d'Anne Fontaine. Tout le monde parle à l'actrice de ce rôle amusant et surprenant, mais elle-même n'y voit rien de ce genre : "En repensant aux nombreux moments d'émotion du film, je me trouve plutôt sensible, intelligente, fine et raffinée, donc, comme vous pouvez le constater, un personnage qui me ressemble."
Interviewée dans Paris Match, la comédienne de 58 ans n'y va pas par quatre chemins. Certains y verront une manière de se conforter dans son image de pince-sans-rire autoritaire, mais on préfère y déceler un jeu : "Ceux qui me connaissent bien éclateraient de rire en entendant que je fais parfois peur aux gens. Dire de moi que je serais froide, c'est vraiment de la paresse intellectuelle."
Anne Fontaine, qui prépare une comédie avec Naomi Watts, rêvait de la rencontre explosive entre Huppert et Poelvoorde. L'actrice en garde un souvenir tout aussi délectable : "Benoît est un délicieux bavard. On a beaucoup ri car il est très drôle et moi aussi. Mais pas plus que sur un tournage de Michael Haneke. Contrairement aux idées reçues."
Difficile de cerner Isabelle Huppert. Elle file d'univers en univers avec une facilité déconcertante, traverse le cinéma de Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Hal Hartley et Maurice Pialat, chante pour François Ozon, dérive pour Michael Haneke, pleure pour Josiane Balasko. Trois prix à Venise, 13 nominations et un César, mais surtout un instinct intact : "Je peux commencer un film demain sans rien savoir : une caméra, trois scènes, et je joue. Je viens de terminer en Corée le film de Hong Sangsoo pour lequel il n'y avait pas de scénario et ça m'allait très bien".
La discrétion d'Isabelle Huppert, moins présente que d'autres dans les médias, s'explique naturellement : "Maintenant, les jeunes actrices ont toutes leur styliste et leur attaché de presse à 18 ans, alors qu'elles ont fait deux films. C'est dément ! Je me refuse aux confidences inutiles en public. Le cinéma est un tel lieu de réalité que franchement, je ne peux pas pas faire plus que de jouer dans des films et d'accepter d'en parler. J'ai l'impression d'être un livre ouvert, jusque dans mes rôles de mère". Espérons qu'elle ne fasse pas allusion à Ma mère et My little princess, sur deux familles profondément déréglées.
Néanmoins, elle confie qu'elle se verrait bien replonger dans l'aventure de la musique, dix ans après son album avec Jean-Louis Murat : "J'adorerais ! J'ai une idée de projet avec un auteur compositeur français mais il n'est pas encore au courant. Une actrice qui chante risque de n'être jamais aux yeux du public qu'une actrice qui chante."
Dans Studio Ciné Live, elle évoque tout autant son désir de passer à la mise en scène que la crainte d'aller trop loin. Cela pourrait presque paraître surprenant de la part d'une comédienne si audacieuse : "J'y pense secrètement, mais l'idée s'éloigne assez rapidement. Ce serait un tel changement. Etre actrice suppose un désir d'être regardée. Etre metteur en scène vous confère un certain pouvoir, et je ne suis pas sûre d'avoir le profil pschologique requis."
Elle revient également sur La porte du paradis, le western américain qu'elle a tourné avec Michael Cimino et Christopher Walken, qui reste aujourd'hui encore un des naufrages les plus violents d'Hollywood. "Si le film avait été le plus grand succès de l'histoire du cinéma, peut-être mon destin aurait-il changé. Or, ça a été une vraie descente aux enfers. Mais c'était une expérience extraordinaire, sept mois de ma vie. Godard est venu sur le tournage, j'ai donc retrouvé la France."
Trente ans plus tard, Isabelle Huppert est ce qu'elle est. Difficile et glaciale pour les uns, fascinante et exemplaire pour les autres, mais incontournable, de toute évidence.
Retrouvez les interviews dans Première et Studio Ciné Live du mois de novembre.