C'est une jeune femme très éprouvée mais courageuse qui a pris la parole ce dimanche 6 mars 2022 dans le Canal Rugby Club. Noémie Michallet, enceinte, a perdu son mari Jordan il y a quelques semaines. Celui-ci s'est en effet donné la mort en raison d'une dépression liée à son métier de joueur de rugby professionnel. Sous une pression constante, le jeune homme a craqué lors d'une semaine décisive.
"Le problème, c'est que c'est allé très, très vite. En une semaine, tout s'est dégradé. Et Jordan n'a pas osé en parler, ou alors trop tard. Je sais que, au club de Rouen, s'ils avaient eu le ressenti de Jordan, ils auraient été là pour lui. Ils l'auraient aidé, ils ne l'auraient pas laissé tomber. Malheureusement, un joueur a toujours honte d'avouer ses faiblesses, honte de dire qu'il va mal ou qu'il est fatigué", a-t-elle expliqué, très digne, à la journaliste Isabelle Ithurburu.
Son mari, qui avait "peur du jugement", vivait une "petite semaine, avec une baisse de moral", mais avait surtout "une certaine pression parce que le club se retrouvait près de la zone de relégation. Mais il avait toujours ce sourire sur lui. On venait de faire l'échographie de notre enfant et il était très, très heureux de savoir qu'on attendait une petite fille". Un bébé qui avait fait dire au jeune homme, le 1er janvier, que cette année allait être "la plus belle de [sa] vie, avec la construction de [sa] famille". Une phrase qui n'avait pas vraiment laissé présager à sa femme un suicide quelques jours plus tard, "un geste qui est l'inverse de Jordan". Surtout que le futur papa était sérieux dans son travail.
"Il m'avait dit : 'Je n'ai pas le droit de lâcher l'équipe'. Pour lui, c'était impensable d'avoir ne serait-ce que quelques jours de repos", explique Noémie Michallet. Ça le rendait malade d'être affaibli, fatigué. Pour lui, c'était impensable de devoir abandonner ses coéquipiers. Un mal-être qui serait partagé, selon les témoignages reçus depuis le drame, par de nombreuses personnalités du rugby.
"Depuis ce drame, j'ai reçu beaucoup de témoignages de joueurs, français ou étrangers. Pas un ne m'a pas dit qu'il n'avait pas connu une dépression. Mais aucun n'a osé en parler, ni à ses coéquipiers, ni à ses entraîneurs", explique-t-elle. Dans ce milieu, la dépression est en effet complètement taboue. "C'est un milieu où il faut toujours être fort, où il faut toujours donner le meilleur de soi-même. On joue avec des blessures, avec des douleurs extrêmes pendant les matchs. Quand on m'a dit ça, j'ai compris qu'il n'y avait pas que Jordan. J'ai pu ressentir le mal-être de certains joueurs".
Une interview digne et forte de la part d'une femme qui veut témoigner d'une chose, "la personnalité merveilleuse de son mari" et qui rappelle la mort d'un autre joueur, Christophe Dominici, qui s'était également suicidé fin 2020, quelques années après la fin de sa carrière.