Tout commence par une chasse à l'homme. Ou à la femme. The Hunt. Un titre d'ouverture harassant, entre pulsation tendue des percussions et de la basse, respiration artificielle rapide, irruptions glauques du piano aux extrêmes de son clavier, murmures désorientants, caisse claire en mode marche militaire. 90 secondes. Puis le tout s'emballe dans un rock atmosphérique jonché de gémissements qui traduit la poursuite et l'entrée dans le nouvel univers de Melissa auf der Maur, gardé in fine par quelque monstre mythologique de type Cerbère qu'on devine à son grognement. De toute évidence, Alice et Melissa ne sont pas tombées dans le même terrier.
Perchée, Melissa auf der Maur l'est certainement. Pas seulement parce qu'elle honore au pied de la lettre - et du mur - le nom qui est le sien, en voie d'extinction : auf der Maur (littéralement "sur le mur", un legs d'origine suisse-allemande que sa grand-mère "lui a copieusement fait avaler"). Mais aussi et surtout parce qu'elle a pris de la hauteur, et rejoint une dimension cosmogène littéralement Out of our minds, titre de son deuxième album solo, qui vient de paraître, et que le titre The Hunt amène à la manière d'un court-métrage d'auteur.
Après une première production solo éponyme percutante car fondamentalement brute, l'ancienne compagne de route de Courtney Love et des Smashing Pumpkins surprend en inventant un univers fantasmatique particulièrement élaboré, que hante avec une remarquable économie sa voix polymorphe et mystifiante. Pas loin d'être un concept-album, Out Of Our Minds s'assortit d'un court métrage surréaliste de 28 minutes concocté avec la complicité de Tony Stone - quant on connaît la passion et le talent de Melissa pour la photographie (cf. l'expo Channels que les attentats du 11 septembre ont écourtée), le meilleur est à prédire - qui sera projeté ce dimanche 11 avril, en première partie du concert de la Canadienne à la Flèche d'Or, à Paris.
Essentiellement connue en France, outre des inconditionnels du rock, des nombreux mélomanes qui ont aimé son duo envoûtant et rougeoyant avec Nicola Sirkis et Indochine sur Le Grand Secret (2002, album Paradize), Melissa auf der Maur, 38 ans, a ces dernières années repoussé les offres de reformation de Hole ("On ne peut pas remonter Hole comme ça, à la légère. On ne peut pas dire "Tiens je vais venir, chanter un peu les choeurs et Hole sera de retour", fustigeait-elle en juin 2009, indiquant par ailleurs qu'un contrat signé avec Courtney Love lors de la dissolution du groupe l'empêchait d'utiliser ce nom sans Melissa) et des Smashing (privé de Jimmy Chamberlin, Billy Corgan en est réduit à faire passer des auditions libres...) pour affiner son travail solo. On se souviendra qu'elle a accompagné Hole et Courtney de 1994 à 1999 après avoir été repérée en 1993 par Corgan : à l'époque, Melissa auf der Maur faisait partie du groupe Tinker, et l'un de ses acolytes avaient balancé une canette de bière sur le chanteur des Smashing en plein concert... provoquant une rencontre qui débouchera sur une belle complicité - c'est Corgan qui recommandera Melissa, qui avait ouvert quelquefois pour les Smashing avec Tinker et qui jouera au sein des Smashing pour leur tournée d'adieux (2000), à Courtney Love. La rousse vénéneuse a par ailleurs connu d'autres belles collaborations, avec Marilyn Manson, son copain d'enfance Rufus Wainwright, Nine Inch Nails, Muse, Ryan Adams, Queens of the Stone Age, ou encore le fameux métalleux Glenn Danzig, avec laquelle elle partage le duo Father's Grave sur son nouvel album.
Une seconde réalisation solo griffée, atypique et multimedia (également déclinée en BD et site interactif), qui travaille son ambiance et ses climats à la façon d'un film fantastique et a nécessité trois années de travail (avec boîte à rythmes) en dents de scie, au fil des explorations musicales. Le single-titre de l'album, qui surgit après le préambule The Hunt, est le "premier indice" de cet univers fantasmé, comme l'a indiqué l'intéressée, et nous vous proposons de découvrir ci-dessus son clip (un pan du court métrage de ce Ooom), dont l'intro vous renverra devant Crash de Cronenberg et dont la sauvagerie nocturne et la puissance visuelle vous donneront un avant-goût de la total experience dans laquelle vous embarque la Montréalaise dès ses premières paroles : "if you're listening, come in".
Une fois "sorti de l'esprit" et entré dans ce nouveau monde, avec les guitares saturées tourbillonnantes et les cris qui frappent aux tempes (un brouillage psychédélique qui peut rappeler Juliette Lewis) sur le single-titre de Ooom, c'est un vrai parcours initiatique qui vous attend : Isis Speaks et son riff de prophétie mythique qui ouvre un rock downtempo épais, grossi par des choeurs imposants (une formule à l'oeuvre, un peu plus loin, sur 22 Below), la cavalcade ténébreuse de Lead Horse, Meet me on the Dark Side, très caractéristique de la rockeuse avec sa structure rappelant le rock alternatif des années 1990 (quelques pièges en plus), le recueillement par instants blue-eyed et western-styled devant la tombe du père avec Father's Grave (un titre effectivement à la mémoire de son père, Nick), le nerveux et distordu The Key... Jusqu'au 1000 Years final, sortie atemporelle d'une artiste qui semble avoir enfilé son rock de mille lieues.
Expérience à part et infos sur les concerts de Melissa auf der Maur sur son site officiel, en cliquant ici. Rendez-vous à la Flèche d'or ce 11 avril 2010.
Guillaume Joffroy