Réactualisation de l'article du mercredi 17 mars 2010 : Malgré l'intérêt sociologique de cette émission, (une expérience choquante pour certains téléspectateurs) elle n'a réuni que 3 millions de téléspectateurs pour 13,6 % de part de marché. Le jeu de la mort et le débat qui a suivi se sont ainsi placés en troisième position dans les audiences, derrière TF1 (qui proposait New York Section Criminelle) et France 3 (avec Louis la Brocante en rediffusion !). Les Français plus intéressés par la série que par l'analyse de leur propre comportement face à la télé ? Quant au débat qui a suivi... il était électrique ! Ambiance probablement dûe au pétage de plombs (coupé au montage) de Monsieur Hondelatte !
Incontournable ! Toute la presse en parle : Le jeu de la mort diffusé ce soir sur France 2 fait polémique et pour cause, il remet en question le pouvoir coercitif de la télévision sur l'homme. Le but de ce documentaire au budget colossal (2,5 millions d'euros) : mettre le doigt sur les dérives de la télé réalité qui va toujours de plus en plus loin dans l'humiliation. Jusqu'où va la télé ? C'est la question que se pose Christophe Nick, auteur de ce documentaire. Décryptage sociologique de ce phénomène télévisuel.
Une fausse émission inspirée d'un concept scientifique des années 60
En 1963, le Dr Milgram met en place une expérience scientifique dans laquelle des cobayes infligent des chocs électriques à un être humain, sous l'influence d'un médecin. Les décharges sont de plus en plus élevées (460 volts) à mesure que la personne soumise aux électrochocs ne donne pas de bonnes réponses à des questions simples. Le but ? Mesurer la puissance de la soumission à une autorité, représentée ici par le corps médical. Évidemment, cette expérience est truquée, à savoir que la personne qui reçoit les électrochocs et qui hurle à la mort est un comédien... ce que les cobayes ignorent. Résultat de cette expérience : 62,5 % des candidats ont été jusqu'à infliger une décharge de 450 volts à la victime, même en entendant les cris de douleur (sans la voir). La déduction est simple : sous l'influence d'une autorité, l'être humain est capable des pires horreurs. En clair : si le médecin laisse faire, c'est qu'il n'y a pas de danger.
C'est cette expérience scientifique que Christophe Nick a voulu reproduire pour tester, cette fois, l'influence de la télé. Dans Le jeu de la mort, une émission télé fictive en public, des cobayes infligent des décharges à un homme (également comédien) au fur et à mesure qu'il se trompe dans les réponses à des questions simples. L'objectif ? Prouver que dans un contexte d'émission de télé (le cobaye est filmé, devant un public et avec une animatrice, Tania Young, très insistante) l'être humain est prêt à tout, faisant confiance à la télévision qui saura trouver les limites. Et le résultat abonde dans ce sens, puisque 80% des candidats ont donné la décharge maximale. En clair : si l'équipe télé laisse faire, c'est qu'il n'y a pas de danger (plus de détails sur le fonctionnement de l'émission, ICI).
La télé-réalité peut-elle détraquer l'être humain ?
Si l'être humain est capable de tout dans un contexte "télévisuel", il est de bon ton de s'interroger sur les candidats d'émissions de télé réalité : soumis à la puissance cathodique et au bonheur égocentrique de bénéficier d'une exposition médiatique, certains pourraient être capables de tout. On se souvient que certains sociologues s'étaient déjà alarmés de cette dérive potentielle pour l'émission Secret Story où des candidats se soumettent aveuglément à une voix - et non une personne - qui leur dicte des défis ineptes. La Voix, équivalent de... Dieu ? Et les candidats, équivalents... de simples disciples obéissants ?
De la même façon, si la télé-réalité est de plus en plus manipulatrice voire trash en France, elle est carrément parfois écoeurante à l'étranger où des morts ont déjà été recensés, notamment dans une version thaïlandaise de Survivor (sorte de Koh Lanta... en plus corsé). Les médias veulent-ils aller jusqu'à... la mort en direct ? C'est une question qui s'est plusieurs fois posée, que ce soit avec la mort médiatisée de la Britannique Jade Goody ou avec des émissions moralement incorrectes comme Spuitten en Sliken, en français se piquer et avaler (émission néerlandaise dont le but est de faire des expérience dites "scientifiques" en testant des pratiques à risques : usages de drogues et expériences sexuelles diverses).
Mais ces cas doivent-ils nous pousser à déduire que la télé est tellement puissante qu'elle influence notre comportement et qu'elle influence notre société ? Oui, si l'on croit les participants à cette émission qui disent avoir "appris quelque chose" (précisons que tout le monde n'a pas accepté de passer à l'antenne après avor pris connaissance de la supercherie). Toutefois, relativisons...
Une expérience intéressante, mais à relativiser...
Que la télévision soit le média le plus puissant, certes. Qu'il influence notre comportement, cela mérite d'être relativisé : il y a bien eu des cas comme cette candidate de Nouvelle Star américaine qui s'est suicidée devant la maison de son idole (et jurée du programme) Paula Abdul après avoir été recalée... mais c'était une personnalité fragile qui n'aurait jamais dû être prise au casting. De la même façon que Rodney Alcala n'aurait jamais dû participer à la version américaine de Tournez Manège. Cet homme a été récemment arrêté pour plusieurs meurtres commis aux Etats-Unis : ce fait divers a défrayé la chronique puisque ce serial killer avait participé à cette émission de dating, il y a 30 ans ! Ce tueur en série n'aurait donc jamais dû être casté par la production... mais la télé est-elle responsable de ses actes ?
De plus, ces dérives viennent essentiellement des pays étrangers. Faut-il craindre la même chose en France ? Pas vraiment, puisque les choses sont réglées comme du papier à musique en amont : les mécanismes des émissions de télé-réalité sont huilés au point d'éviter tout scandale. Évidemment, les dérapages existent en France (comme Sabrina, larguée en direct par son petit-ami dans Secret story l'été dernier) mais ils sont très loin de ce que l'on peut voir à l'étranger. De plus, chez nous, c'est essentiellement Endemol qui est en charge des émissions de ce genre, et cette puissante société de production vient de mettre en place une charte éthique pour éviter toute dérive malsaine. Enfin, la législation française et le seuil de tolérance des téléspectateurs ne permettraient pas de tels comportements pendant une émission. Pour l'instant, en tout cas. Le CSA veille...
Evidemment, il faut rester vigilant comme le souligne Laurence Boccolini (ancienne animatrice du Maillon Faible, jeu que l'on a accusé d'être humiliant) dans Le Parisien de ce jour : "Transposer cette expérience scientifique en jeu ne peu donner que des résultats aberrants. Cependant, si elle n'est pas gérée avec humanité et dignité, la télé peut aller très loin car il y a une demande forte de la part des gens prêts à tout pour avoir une seconde célébrité". Mais si le concept de télé-réalité peut être considéré comme de plus en plus affligeant ou portant de plus en plus atteinte à la dignité humaine, les effets qu'elle a sur la société ne sont pas aussi démesurés que l'on peut l'entendre : "C'est à chacun de gérer, de garder ses esprits" analyse Clémence (Koh Lanta 5 et fiancée du star academycien Mathieu Johann) dans le Parisien.
L'influence de l'animateur plus que de l'émission ?
Libération ajoute aussi que le débat qui suit l'émission, présenté par Christophe Hondelatte a été l'objet d'un mini scandale. L'animateur aurait exercé son pouvoir sur les intervenants en demandant à Alexandre Lacroix (rédacteur en chef de Philosophie magazine) de quitter le plateau après que celui-ci a manifesté un sérieux désaccord avec l'angle choisi pour traiter l'information. "C'est moi qui commande. Je suis le capitaine" aurait crié Hondelatte à cet intervenant. Outre l'expérience de soumission à la télé, c'est là l'expérience de soumission à l'animateur. Hondelatte aurait-il été parfait dans le rôle de "J'appuie sur la charge électrique" de cette émission ?
Un moyen de tacler M6 et TF1 ?
Enfin, si ce programme en trois parties (la fausse émission Le jeu de la mort à 20h35, suivie d'un débat animé par Christophe Hondelatte à 22h10 aujourd'hui , puis une analyse intitulée Le temps de cerveau disponible diffusée demain soir à 22h45) est extrêmement intéressant et permet une réelle prise de recul sur la télé et son impact dans notre vie, il soulève quelques questions. On s'étonnera en effet que ce faux jeu, enregistré il y a quelque temps déjà, soit diffusé au moment même où les émissions de télé réalité explosent. TF1 nous berce de Ferme Célébrités et bientôt de Koh Lanta (Secret Story 4 cet été), tandis que M6 propose Nouvelle Star et prochainement Pekin Express et L'amour est dans le Pré : un choix éditorial intéressant pour France 2 qui, chaîne sous la responsabilité de l'Etat oblige, s'est toujours refusée à verser dans la real TV. Enfin, on notera la subtilité de France 2 d'intituler son documentaire analytique de demain soir Le temps de cerveau disponible qui est, évidemment, une référence à la phrase de Patrick Le lay en 2004 (alors patron de TF1) qui disait que la vocation de la chaîne était de divertir et de "vendre à Coca-Cola du temps de cerveau disponible"...
Un moyen pour France 2 de tacler TF1 et M6, principaux fournisseurs d'émissions de télé-réalité ?
C'est un vrai débat, car certains regrettent (et c'est une des raisons pour lesquelles la Ferme Célébrités ne cartonnerait pas) que dans cette Ferme 2010, par exemple, les candidats ne soient pas plus humiliés et ne souffrent pas... vraiment ! Ce qu'on ne sait pas, c'est que pour participer à cette émission, les pseudo-vedettes ont obtenu un règlement de jeu extrêmement détaillé et précis et que le moindre changement demande un avenant à chaque fois ! Il n'y a plus de place pour de pseudo-stars dans ce genre de télé réalité, et l'émission de ce soir prouvera bien que ce sont aujourd'hui les anonymes qui font le show ! Pourquoi Emilie a-t-elle gagné Secret Story 3 ? Parce que c'est "the girl next door", celle à laquelle les téléspectateurs se sont le plus identifiés...
La real TV a-t-elle encore des limites ? L'homme est-il capable de ne pas s'y soumettre ? Cette expérience initialement scientifique, peut-elle être transposée à la télé sans souffrir de carences ? Des questions auxquelles vous allez pouvoir répondre dès ce soir à partir de 20h35 sur France 2.
AJC