"Comme des gamins." L'aveu euphorique du lutin trentenaire Michaël Guigou vendredi après la demi-finale du tournoi olympique de handball, alors que les Bleus refusaient de quitter la salle et communiaient avec leur public comme s'ils avaient décroché l'or olympique, valait encore dimanche soir au terme de la finale épique qui a vu les Experts du hand français conquérir effectivement le graal aux JO de Londres et s'installer encore un peu plus dans la légende.
Victorieuse de la Suède 22 à 21 ce 12 août 2012 à l'issue d'un duel maîtrisé jusqu'à deux minutes du buzzer (une addiction aux dénouements héroïques, comme lors du Mondial 2011 ?), l'équipe de France de handball est entrée dans l'histoire du sport et de l'olympisme en devenant la première à remporter le titre olympique lors de deux olympiades consécutives. Parmi les médaillés d'or d'hier, dix l'étaient déjà à Pékin en 2008 !
Soudain, Titi Omeyer, avec ses cheveux poivre et sel, avait à nouveau ce regard émerveillé et cette mine béate des très grands soirs. Le roc Didier Dinart, sentinelle dissuasive, semblait comme Jérôme Fernandez avoir 12 ans et non plus 35, l'oeil noir et inflexible se faisait pétillant, la "Montagne" des Bleus se transformait en machine à câlins plutôt qu'en machine à détruire les attaques adverses. Le joli bébé Cédric Sorhaindo se jetait dans ses bras, Daniel 'Air France' Narcisse s'envolait - sans ballon pour une fois - vers les sommets de l'histoire du sport, le quinzième homme providentiel et benjamin de l'aventure William Accambray souriait aux anges avant de renifler cocassement le bouquet promis aux médaillés, Nikola Karabatic brandissait le drapeau tricolore avant de se faire cajoler par sa famille en liesse, le jeune Xavier Barachet, déterminé et déterminant après un début de tournoi délicat, affichait le visage radieux d'un aujourd'hui fantastique et de lendemains plaines de promesses.
"Un éclair au firmament : c'est en faisant n'importe quoi qu'on devient champion olympique"
Quelques minutes plus tard, sur la plus haute marche du podium, Les Experts foudroyaient le firmament olympique d'une de ces inspirations qui en font une équipe si charismatique, si humaine, si attachante... Si légendaire, en vérité. Imitant le meilleur sprinteur de tous les temps, Usain Bolt, qui a réussi à Londres l'exploit inédit de conserver ses deux titres olympiques des JO de Pékin 2008 et s'est en conséquence auto-proclamé "légende vivante", les Bleus copiaient, médaille d'or autour du cou, le "signature move" de l'Eclair jamaïcain, sa fameuse position de l'archer, dessinant dans l'air un éclair avec les bras. Très en vogue au village olympique ces derniers jours, où nombreux furent les touristes à se faire photographier dans cette posture, ce symbole de gloire prenait une ampleur inédite, reproduit simultanément par une vingtaine d'athlètes ! Sans conteste une des images les plus marquantes de ces JO de Londres 2012 qui s'achevaient quelques heures plus tard lors d'une cérémonie de clôture grandiose et festive cautionnée par le prince Harry.
"C'est en faisant n'importe quoi qu'on devient champion olympique", avait revendiqué juste avant le podium Mickaël Guigou, dans une dédicace au Montpelliérain Rémi Gaillard inscrite sur un drapeau bleu, blanc, rouge. Il y avait effectivement un peu de n'importe quoi dans ce pastiche collégial d'Usain Bolt, mais aussi un fond de vérité ; comme le Jamaïcain, les Bleus du hand sont non pas "dans" la légende : ils sont la légende. "Notre geste sur le podium, c'est un clin d'oeil pour Usain Bolt, pour lui montrer qu'on est nous aussi des légendes de notre discipline", a confirmé Jérôme Fernandez, évoquant "à titre personnel la plus belle journée de sa vie". Au quadruplé déjà historique JO 2008-Mondial 2009-Euro 2010-Mondial 2011, série tout juste interrompue en janvier par l'échec à l'Euro 2012, s'ajoute désormais ce nouveau fait d'armes aux JO 2012. "La meilleure équipe de tous les temps", affirmait la star du hand croate Ivano Balic à l'entraîneur tricolore Claude Onesta après la demi-finale exceptionnelle de l'équipe de France. Une équipe qui, après sa contre-performance continentale en janvier dernier, avait été piquée au vif, n'appréciant guère d'être décrite comme "lézardée de vieux" : tout à sa joie hier soir, Didier Dinart a tout de même eu quelques mots pour entériner la revanche des anciens sur les observateurs qui les donnaient moribonds... "Ce qu'on a fait, c'est ce qu'on avait à faire. Certes on est allés chercher des idées à travers les lézardes qu'il y avait (...) Pékin a été une délivrance, Londres, une mise au point. Les vieux joueurs décriés continuent à être les meilleurs du moment", a asséné pour sa part Claude Onesta, le bon génie du hand français.
Côté terrain, aussi, il y a eu un chouia de n'importe quoi. Surtout la fin, lorsque la France a dû gérer une avance d'un but en double infériorité numérique pendant 1 minute 20. Jusque-là, la physionomie de la rencontre avait été sculptée pour faire l'histoire du sport. A part un bref moment passé derrière la Suède (5-6 à la 15e) et alors que des Marseillaise avaient déjà retenti dans la salle, les Experts, en dépit de quelques pertes de balle superflues, donnaient l'impression que la gloire ne pouvait leur échapper. S'appuyant comme toujours sur une défense appliquée et solidaire (le score, une fois encore, en atteste) autour notamment de "Big Did" Dinart, ils pouvaient, montrant la force de leur banc et de leur complémentarité, compter sur un Michaël Guigou retrouvé (5 buts au total, dont une roucoulette inversée sur un jet de 7 mètres à la 22e, 9-7), un Xavier Barachet enfin libéré et qui a dévoré les intervalles à droite (4 buts, tous au premier poteau) ou encore un Thierry Omeyer qu'il va bien falloir un jour décorer des plus hautes distinctions nationales. Virant en tête à la pause (+ 2 après une nouvelle parade à 6m de Titi), les Experts ne devaient plus desserrer leur emprise, s'en remettant notamment à Daniel Narcisse, Nikola Karabatic et Luc Abalo (auteur d'un somptueux lob sur une rentrée en pivot à la 52e, 19-16). Jusqu'à ces deux expulsions coup sur coup, ne laissant que quatre Experts dans le champ contre six Suédois pour préserver un but d'avance. Même dans ces conditions, l'élastique Luc Abalo trouvait la faille, et le but suivant, suédois (22-21), promettait trente dernières secondes de feu, un final à l'image de celui contre l'Espagne (but de la victoire d'Accambray à l'ultime seconde de jeu). Une dernière possession française et Mickaël Guigou se mettait à dribbler en sautant frénétiquement comme on avait vu la capitaine des Bleues du basket Céline Dumerc le faire lors de la demi-finale victorieuse contre la Russie... Les Experts l'ont fait !
G.J.