Libération en crise. Les salariés sont en conflit ouvert avec les actionnaires principaux du quotidien. Ils s'opposent à leur projet pour Libé dont les ventes sont en chute libre. Dans ce climat plus que délétère, Nicolas Demorand quitte le navire. "J'ai décidé de démissionner de ma fonction de directeur et de quitter Libération", explique, dans un entretien accordé au Monde, celui qui avait pris ses fonctions en mars 2011.
À 8h55, Nicolas Demorand annonce son départ à la rédaction du journal dans un court e-mail : "Chers tous, ce mail pour vous prévenir que j'ai démissionné ce matin. J'espère de tout coeur que mon départ facilitera le dialogue qui doit être renoué pour sortir le journal de la crise qu'il traverse. J'ai passé à vos côtés trois années enrichissantes, enthousiasmantes et parfois rudes. Je ne les oublierai pas. Je vous souhaite le meilleur. Amitiés." Trois années "parfois rudes", c'est en-deçà de la vérité. Sa gestion du journal a maintes fois été remise en cause par la rédaction - une motion de défiance à son encontre avait même été adoptée à 89,9% lors d'un vote le 26 novembre 2013.
Issue logique
Dans Le Monde, Nicolas Demorand explique pudiquement qu'il "cristallise une partie des débats" : "J'estime qu'il est de ma responsabilité de patron de redonner des marges de manoeuvre et de négociation aux différentes parties. J'espère que mon départ permettra aux uns et aux autres de retrouver la voie du dialogue." Nicolas Demorand part sans regret et dit avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour "éviter que le journal ne mette la clé sous la porte".
Les représentants des salariés de Libé ont pris acte de son départ dans un communiqué, un rien cinglant : "C'est une issue logique au vu de la motion de défiance adoptée à 89,9%. [...] Ce vote et cette annonce sont la conséquence de son manque d'implication dans le journal au quotidien et dans l'élaboration d'un projet éditorial. Aujourd'hui, les salariés considèrent que les chantiers les plus importants pour Libération sont devant eux : plan d'économies, recapitalisation, développement d'un nouveau modèle économique et mise en oeuvre d'un projet éditorial ambitieux. Le tout devant préserver l'identité de Libération. L'équipe travaille à des propositions en ce sens."
"Nous sommes un journal"
Il s'agit donc de faire des propositions pour contrer celles de l'actionnaire Bruno Ledoux, dont le projet a soulevé une vague de protestations sans précédent, cristallisée par la une du 8 février : "Nous sommes un journal, pas un restaurant, pas un réseau social, pas un espace culturel..." Le projet de Bruno Ledoux consiste à déménager la rédaction et à faire de l'immeuble historique de Libération, situé rue Béranger à Paris, "un espace culturel et de conférence comportant un plateau télé, un studio radio, une newsroom digitale, un restaurant, un bar, un incubateur de start-up". Le tout pensé par le designer Philippe Starck. Le quotidien papier serait-il relégué au dernier plan ? C'est la crainte des salariés, dont la riposte se résume en un slogan : "Nous sommes un journal."