Pour un mariage à petit budget qu'il souhaitait humble et personnel, "en famille" avec le peuple bhoutanais, le jeune roi Jigme Khesar Namgyel Wangchuck du Bhoutan, 31 ans, submergé par sa popularité et par la liesse générale causée par son union avec la magnifique roturière Jetsun Pema, fille d'un pilote de ligne, a finalement eu droit à une noce grandiose. Et nonobstant, dans le pur respect des traditions bouddhistes du petit royaume himalayen peuplé de 700 000 sujets et gouverné par la famille royale depuis seulement un siècle.
Les 11 heures de marche du roi Jigme et de la reine Jetsun !
Dimanche 16 octobre, au terme des trois jours de fête nationale décrétés en l'honneur du mariage du cinquième roi-dragon (première union officiellement publique d'un monarque bhoutanais) et de sa splendide dulcinée, des feux d'artifice ont illuminé les cieux de la capitale, Thimpu, que le couple avait ralliée à pied vendredi matin depuis la forteresse monastique Dewa Chhen-Poi Phodrang de Punakha, où avait été préalablement célébrée la veille son union, jeudi 13 octobre 2011.
Après une cérémonie et une bénédiction données dans le respect des rites bouddhistes, le roi Jigme Khesar et la reine Jetsun Pema, couronnée par ses soins, ont eu la surprise de devoir renoncer à gagner Thimpu en voiture, en raison de la foule euphorique massée aux abords du parcours ! C'est donc à pied, s'arrêtant inlassablement pour serrer des mains, étreindre ou embrasser des sujets partageant leur bonheur, que les jeunes mariés ont effectué la route, un imprévu sensationnel dans un pays où la culture invite à l'humilité, à la réserve et à la pudeur du sentiment amoureux ! Une discrétion de l'intime que Jigme, diplômée d'Oxford, et Jetsun, étudiante à l'université de Thimpu après avoir suivi un cursus au Regents College de Londres, avaient contribué à désacraliser les semaines précédentes, se tenant par la main lors de leurs sorties conjointes ayant précédé leur mariage, tendresse publique inédite. Cet étonnant scénario rappelle des scènes similaires datant de 2008, lors du couronnement du roi Jigme, alors âgé de 28 ans, qui avait été contraint d'effectuer le même trajet à pied, pour les mêmes raisons. La popularité du "prince charmant de l'Himalaya", clef de voûte de la monarchie constitutionnelle et du processus de modernisation (y compris démocratique) du pays, souverain proche de ses sujets (il ne vit pas dans un palais et reçoit sans ambages les citoyens en audiences), se confirme bien... A noter que, parmi les 150 journalistes accrédités et s'étant acquittés de la taxe journalière pour les étrangers de 200 dollars, la majorité venaient de Thaïlande, où le physique "à la Elvis" (sic) du roi lui vaut pléthore de groupies !
Résultat, en fait de trois heures, c'est onze heures qui leur ont été nécessaires pour faire la route jusqu'à la capitale, où 30 000 à 50 000 personnes les ont accueillis dans une vibrante ovation, offrant des écharpes blanches en signe d'estime.
Les William et Kate de l'Himalaya : De baiser chaste en célébration grandiose et liesse inédite
Dans la journée de samedi, le roi Jigme et la reine Jetsun ont assisté (de nombreuses photos sont visibles sur le site du Washington Post) à des spectacles de danse et de chant mettant en scène 500 artistes au stade Changlingmithang de Thimpu, petite cité médiévale et capitale du pays, emportée dans un déluge de bonheur coloré. La foule - dont des personnes qui avaient accompli jusqu'à six jours de marche pour être présentes - et la ferveur étaient impressionnantes, et l'indicateur économique très spécifique du pays, le fameux "Bonheur Intérieur Brut" qui évalue ses richesses au bonheur de ses 700 000 habitants et justifie à lui seul le comportement protectionniste du royaume, a explosé, tandis que boutiques et habitations se sont garnies de drapeaux et de portraits du couple royal. Là encore, ces démonstrations d'affection dénotent un changement sensible dans les coutumes locales. L'illustration parfaite en est le baiser chaste, mais un baiser tout de même, déposé par le roi sur la tempe de la reine de son coeur : certes pas un baiser sur les lèvres tel que celui de William et Kate au balcon, mais un baiser d'amour public qui confirme ce mouvement de libéralisation des moeurs sous l'impulsion du jeune monarque.
L'arrivée des jeunes mariés avait déclenché des scènes de quasi-hystérie dans les rues de la capitale, bondées de sujets en habit traditionnel (le gho pour les messieurs, la kira pour les dames). Une effervescence inédite à mettre en lien avec la modernisation rapide du pays ces dernières décennies : lors du mariage du roi Jigme Singye Wangchuck, père de l'actuel roi-dragon, avec quatre soeurs en 1979, il n'y avait pas de télévision, pas d'Internet, peu de routes... Ce qui n'enlève en rien le fait que le roi Jigme Khesar cultive une ouverture et un sourire que n'avaient pas son père, et qui lui valent son aura de roi populaire. A une journaliste qui lui demandait ce que cela lui faisait d'être marié, il répondit avec malice et bienveillance : "Etes-vous mariée ? Eh bien vous devriez essayer !" Au monastère, à l'issue de la célébration du mariage, le roi Jigme avait d'ailleurs enfreint le protocole prévu et les consignes de sécurité en quittant le tapis rouge pour se mêler à la foule, remercier les sujets de leur présence et embrasser les enfants. Une démonstration en écho à cette promesse qu'il fit à son peuple, en son nom et celui de la reine, avec qui il devrait prochainement partir en lune de miel au Rajasthan : "Nous faisons le serment de servir notre peuple de manière à ce que, ensemble, telle une famille, nous élevions des enfants mieux instruits, plus prospères et plus forts que nous. Nous bâtirons une nation plus heureuse et plus forte."
G.J.