Toute la persévérance qu'on lui a reconnue et toutes les couleurs (volontiers improbables) qu'il sortait de son dressing pour en maculer joyeusement la NBA n'y auront rien fait : le journaliste sportif américain Craig Sager, crédité d'une carrière de 40 ans dans le monde des sports dont quinze années aux premières loges de la prestigieuse ligue de basket-ball, est mort jeudi 15 décembre 2016 à l'âge de 65 ans, emporté par une leucémie aiguë myéloblastique. Il venait tout juste d'être intronisé, deux jours plus tôt, au Sports Broadcasting Hall of Fame, le panthéon de la profession.
Le diagnostic, terrible, était tombé en 2014, l'éloignant des terrains et le privant des playoffs de cette saison-là, et suscitant une vague de messages de soutien de la part de nombreux entraîneurs et joueurs. Malgré tout, Craig Sager, figure phare aussi populaire auprès des téléspectateurs que des athlètes, avait repris ses activités. Son fils Craig Jr., issu de son premier mariage, fut compatible pour une greffe de moelle osseuse qui permit au journaliste d'entrer en rémission. En vain : en mars 2016, ce dernier annonçait sa rechute et, en dépit d'une nouvelle greffe de moelle osseuse d'un donneur anonyme, il ne lui restait que quelques mois à vivre. Comme un baroud d'honneur, il intervint quand même il y a quelques mois lors du match 6 des finales NBA 2016 entre les Golden State Warriors et les Cleveland Cavaliers.
Au mois de juillet dernier, Craig Sager était le héros de la cérémonie annuelle américaine de récompenses du sport et des médias, les ESPY Awards : sous le regard de son épouse Stacy, bouleversée et réprimant à grand-peine ses larmes, le vétéran du journalisme sportif est monté sur la scène du Microsoft Theater, accompagné par une incroyable standing ovation, pour recevoir des mains du vice-président américain Joe Biden le Jimmy V Perseverance Award en reconnaissance de son courageux combat contre le cancer.
"J'ai confiance en votre capacité d'éradiquer, un jour prochain, le cancer", a commencé par déclarer avec beaucoup d'émotion Craig Sager, ce soir-là, à l'adresse de Joe Biden. Puis il a eu des mots bouleversants à propos de son épouse Stacy : "Elle est mon paradis sur terre. Dans les moments les plus sombres, alors que les larmes coulaient sur nos joues, on s'étreignait et on priait. 'S'il te plaît, ne me quitte pas, elle disait, on peut se battre ensemble.' L'amour ignore la peur, et ton amour est ma force."
Associant aussi ses cinq enfants, sa soeur et sa belle-mère à la guerre qu'il menait contre la maladie, il a également remercié, tout particulièrement sa famille du sport et ses employeurs qui, depuis le diagnostic initial, ont tout fait pour lui permettre de continuer à faire ce qu'il aimait. Poursuivant son discours aux allures de leçon de vie, devant une assemblée religieusement attentive et toujours debout, parmi laquelle des légendes telles que Kareem Abdul-Jabbar, il a notamment raconté ce que c'est que de vivre en sursis quand les médecins vous disent qu'il ne vous reste plus que quelques semaines à vivre et que le seul espoir qu'il reste consiste en "quatorze journées consécutives d'intense chimiothérapie" : "Le temps n'est pas quelque chose qu'on peut acheter ; on ne peut pas le marchander avec Dieu ; et ce n'est pas une ressource inépuisable. Le temps, ce n'est que la manière dont on vit sa vie."
Malgré son état de santé et le tragique de la situation, il était apparu sous son meilleur jour, éloquent et très smart : il portait justement l'une de ces vestes colorées (sur une chemise jaune) qui ont fait sa réputation – dans une interview devenue culte pour l'émission The NBA on TNT, la superstar Kevin Garnett lui avait même un jour enjoint de brûler sa veste rose ! Livrant de valeureuses maximes de vie, il avait aussi fait rire tout le monde en ponctuant l'énumération de quelques grands moments de sa carrière par : "Et j'ai interviewé Gregg Popovich [l'entraîneur des San Antonio Spurs, réputé pour ses réponses très laconiques et son style particulier avec les journalistes, NDLR]. À la mi-temps d'un match où les Spurs étaient menés de sept points." Un passionné s'est éteint...