C'est une histoire d'amour que l'histoire a oubliée. Sans doute balayée par la démesure que provoqua la suivante. Comment rester dans les mémoires lorsque Johnny Hallyday vous remplace ? C'est la terrible épreuve qu'a eu à affronter Philippe Léotard, le premier amour de Nathalie Baye. Un homme que la mort a emporté il y aura vingt-trois ans le 25 août prochain. Il sera resté près de dix ans avec la comédienne avant qu'elle ne tombe sous le charme de l'idole des jeunes.
Le couple qui donnera naissance à Laura Smet a tout balayé, sauf les souvenirs, notamment ceux que Nathalie Baye a gardés d'une de ses dernières rencontres avec celui qui fut le premier homme de sa vie. Lui était alors au crépuscule de la sienne, hospitalisé depuis des semaines après avoir réchappé à plusieurs comas éthyliques ou overdoses...
"Je m'en souviens comme d'un moment extrêmement douloureux, confiait Nathalie Baye au Journal du dimanche en juillet 2022. Il me regardait avec un regard d'enfant effrayé. Il avait en lui tant de blessures non cicatrisées. Il était un homme intelligent et lucide. Il n'a pas voulu choisir la vie. J'ai été impuissante à le sauver." Des mots d'une force incroyable, égale à celle des sentiments qui unissaient la jeune fille à ce génie cabossé.
Les deux se rencontrent en 1972 sur le tournage du film de Nina Companeez : Faustine et le bel été. Elle a 24 ans. Fille d'un couple de peintre, elle a arrêté l'école dix ans plus tôt pour se consacrer à sa passion pour les arts : danse, d'abord, comédie, ensuite. Cette année-là, elle vient tout juste d'être diplômée du Conservatoire national supérieur d'art dramatique. Sa carrière débute. Lui a 32 ans. Grand amateur de poésie et de littérature, fils du maire de Fréjus, il a été professeur de lettres et de philosophie dans un collège parisien avant de fonder le théâtre du soleil avec Ariane Mnouchkine. C'est le coup de foudre, au point que Philippe quitte sa femme Liiane Caulier et leurs deux enfants pour tomber dans les bras de Nathalie Baye.
Leur histoire d'amour est intense, fusionnelle, "gémellaire", écriront certains. Elle va durer dix ans. Avec des grands moments de bonheur, comme ces longs séjours qu'ils partagent dans la Creuse où Nathalie possède une maison, comme un refuge. Des grands moments de complicité aussi, autour de leur passion commune pour le théâtre. Et des moments de cinéma bien sûr, qui les réunit notamment en 1974 dans La Gueule ouverte de Maurice Pialat. Le tournage est difficile. Le réalisateur n'est pas tendre avec Philippe Léotard. Des années plus tard, toujours dans le Journal du dimanche, Nathalie Baye qui a été le témoin des blessures infligées par le cinéaste à son compagnon s'interroge : "Je n'ai pas voulu m'en mêler de peur d'empirer la situation. Aurais-je dû intervenir ?"
Intervenir ou pas ? Telle est justement la question lancinante que ne cesse de se poser l'actrice durant toutes ces années à propos d'un problème bien plus grave : les addictions de celui qui partage sa vie. Des questions qu'elle retrouvera, plus tard, avec Johnny.
Philippe Léotard a toujours été un grand consommateur d'alcool. Dans les années 70, il commence à toucher à d'autres drogues qui altèrent sa personnalité... et le détruisent. "Philippe Léotard était un homme et un artiste formidable. Il était malheureusement autodestructeur et prisonnier de l'alcool et de la drogue, soulignait Nathalie Baye dans le JDD. Au début, il fumait quelques joints et après, quand il a commencé à prendre des drogues plus fortes, il n'a plus réussi à s'en sortir. Les couples d'acteurs sont fragiles. Il existe toujours une rivalité sous-jacente entre eux. Les hommes le supportent moins bien que les femmes. Quand le cinéma s'en est mêlé, les choses ont été plus compliquées entre nous."
Encore plus compliqués, la répétition des séjours à l'hôpital de son homme. Durant l'un d'eux, les infirmières vont informer à plusieurs reprises la visiteuse qu'il reçoit ses dealers, pour l'approvisionner, au sein même de l'établissement. C'en est trop. Nathalie Baye décide de le quitter. "Tu ne me reverras plus", lui lance-t-elle en partant. Une menace qu'elle ne mettra pas à exécution... Elle aura même toujours une tendresse particulière pour lui, même après sa mort.
Nanée Chevrier, la marraine de Laura Smet, vit dans la Creuse. C'est la meilleure amie de Nathalie Baye. Interrogée par le JDD, elle se souvenait du temps où l'actrice était en couple avec le sulfureux comédien : "Philippe Léotard était un homme difficile à définir, complexe et multiple. Il était intelligent, talentueux, gentil. Nous l'avons tous vu se détruire avec l'alcool puis la drogue. Sous leur emprise, il pouvait se montrer désagréable. Il avait en lui des traces douloureuses datant sans doute de l'enfance. Nathalie Baye lui a sauvé la vie à plusieurs reprises car, même quand elle était en couple avec Johnny Hallyday, elle était présente pour lui. Philippe Léotard a été son grand amour."
Lorsqu'il apprend, durant la cérémonie des Césars en 1982 que son ex, est partie avec Johnny Hallyday, l'homme en éprouve un insondable chagrin. "Profondément atteint, il se saoule à mort, se bourre de cocaïne", écrivent nos confrères de l'Obs.
"J'ai été suicidaire par haine mais je n'ai jamais été las de vivre" ou encore " Y'a rien qui rende la mort heureuse, y'a tout qui rend l'amour amer", dira plus tard cet amoureux des mots qu'était Léotard, qui avait prédit qu'un chagrin d'amour pourrait le mener à sa perte. " Si demain, il m'arrivait quelque chose d'affreux, un amour brisé, un ami tué, un enfant qui disparaît, je me détruirais de façon radicale. Je me tuerais à petit feu, avec de la drogue, peut-être, parce qu'on ne peut pas se rater. "
Il met ses plans à exécution. Devant l'ampleur de ses problèmes, même les assurances ne veulent plus le couvrir. Il ne peut plus tourner. Dans ces périodes, Nathalie est toujours là pour lui. Présence discrète. Lumière dans la nuit au même titre que Michel Piccoli, Patrice Chéreau et François Léotard, son frère cadet, l'homme politique, mort l'an dernier, qui fera tout pour le tirer d'affaire. En vain.
Dans Clinique de la raison close, qu'il sort en 1997, Philippe Léotard écrivait : "Mes poches sous les yeux, je les ai attrapées à force de larmes. Les mauvaises langues diront que c'était au fond d'un verre. Je ne veux pas la ramener avec mes souffrances..." Les siennes s'achèvent le 25 août 2001, victime d'une insuffisance respiratoire, il meurt dans ce bel été dans une clinique parisienne. Il avait 60 ans. Il laisse derrière lui une fille, née d'une autre histoire d'amour. Son prénom : Faustine.