L'arrêt des compétitions sportives en raison de la pandémie du coronavirus et les incertitudes quant à la tenue des prochaines grandes manifestations prévient certes la propagation du Covid-19, mais pas les drames humains : le bobeur américain d'origine serbe Pavle Jovanovic est mort à l'âge de 43 ans. Médaillé de bronze en bob à quatre aux championnats du monde 2004, septième en bob à deux et en bob à quatre deux ans plus tard aux Jeux olympiques de Turin, où, sans doute sous les yeux du prince Albert de Monaco, il aurait pu espérer un meilleur sort, l'athlète réputé pour ses capacités physiques impressionnantes s'est suicidé.
La fédération américaine de bobsleigh et de skeleton a annoncé la triste nouvelle samedi 9 mai 2020, révélant que le sportif s'est donné la mort quelques jours auparavant, le 3 mai.
Né dans le New Jersey, Pavle Jovanovic avait commencé à faire du bobsleigh en compétition à l'âge de 20 ans et s'était rapidement forgé une solide réputation dans le milieu au poste de freineur (le dernier embarqué) en raison de ses aptitudes exceptionnelles à la poussée, facteur essentiel de performance dans cette discipline. Son gabarit (1,85 m, 100 kilos) et son explosivité en faisaient un candidat naturel à ce poste et il aurait même dû faire partie de l'équipe olympique américaine pour les Jeux de Salt Lake City en 2002 s'il n'avait pas été alors sous le coup d'une suspension jugée très sévère pour une affaire de dopage, ayant consommé des compléments alimentaires contenant des substances prohibées (il avait par la suite maintenu qu'il s'agissait d'un accident et avait même pour laver son honneur intenté une action en justice contre le fournisseur du produit, action soldée à l'amiable en 2006). Lorsque l'équipage américain a mis fin à une disette de plusieurs décennies en décrochant une médaille d'argent olympique, lui se trouvait devant la télévision, dans le New Jersey, où il travailla dans le bâtiment au sein de l'entreprise de son père et décrocha un diplôme en mécanique des fluides.
Il était revenu au bob en 2003, avait pris part à la campagne des Mondiaux 2004, récompensé par une médaille de bronze, et à celle des JO d'hiver de Turin 2006. Les Américains ne s'y étaient classés "que" septièmes, le pilote Bob Hays s'imputant ensuite cet échec, estimant n'avoir pas été à la hauteur de ses coéquipiers Pavle Jovanovic, Steve Mesler et Brock Kreitzburg. "En résumé, j'ai le matériel et j'ai la poussée. Mais, tout simplement, je n'ai pas bien piloté ce soir. Pour une raison que je ne m'explique pas, je trouve le rythme sur toutes les pistes du monde, sauf celle-là", avait-il déclaré. Pavle avait continué à porter les couleurs de l'équipe américaine jusqu'en 2008, avant de porter ponctuellement celles de la Serbie en 2011. Il continuait à travaillait à Toms River (NJ), sa ville natale, comme soudeur et fabricant.
Que se passe-t-il quand le rien devient le tout ?
Extrêmemement affecté par la disparition de celui qu'il considérait personnellement comme sa "légende" et comme un athlète ultime, Steve Mesler, sacré champion olympique en bob à quatre aux Jeux olympiques de Vancouver 2010 et aujourd'hui membre du comité directeur du Comité olympique américain, a publié un très long et très émouvant témoignage assorti de quelques images sur son compte Instagram : "Pav, je ne peux pas croire que ce soit à ton sujet que j'écris ces mots... Ma légende personnelle, l'athlète qui a incarné la concentration, l'engagement, la minutie et le contrôle, a mis fin à ses jours à l'âge de 43 ans. Tu n'auras plus à aller jusqu'à la ligne avec un claquage à la cuisse, mon pote. Nous nous assurerons que ton frère, ta soeur et tes parents sachent bien quel personne et quel athlète tu étais", commence-t-il, avant de détailler certains de ses faits d'armes et souvenirs avec son défunt ami, "le meilleur bobeur de la planète" à l'époque où ils couraient ensemble. "Tout ce que je voulais, c'était être comme lui, dit-il. Nous faisions tout ensemble, des sushis à Calgary au poker à Innsbruck en passant par les souffleries du Maryland et tant de médailles en Coupe du monde tout autour de la planète."
Mesler n'élude pas les parties plus sombres de l'histoire, et notamment la culpabilité qu'il a ressentie en récupérant la place de son camarade suite à sa suspension, culpabilité dont ce dernier l'a soulagé et qu'il a enfouie en lui, puis ce qu'il s'est passé dernièrement et a conduit Pavle à l'impensable. "C'était le meilleur coéquipier dont on puisse rêver. (...) Il m'a appris à me soucier de mes partenaires, de leur sommeil, leur alimentation et leur éthique autant que des miens. Il m'a appris la nécessité d'être en bonne santé mentale, non pas pour vivre mais pour réussir dans le sport. Et c'est peut-être ce qui a causé sa chute. Que se passe-t-il quand la personne qui était connue pour être en mode tout ou rien se retrouve avec le rien en guise de tout ?" En guise de réponse à cette question, il ne reste aujourd'hui que du chagrin.