Pendant des décennies, Philippe Druillet s'est tu. Mais après des années de silence, la légende de la BD a choisi d'évoquer un lourd secret qu'il avait tu pendant trop longtemps : il est né "fils de collabo". Un héritage difficile à porter que le fondateur de Metal Hurlant a choisi d'évoquer dans Delirium : Autoportrait (Ed. Les arènes), un livre autobiographique réalisé à partir d'entretiens avec David Alliot, un spécialiste de Céline, et à propos duquel il vient de répondre à quelques questions dans Le Parisien.
"On ne pardonne pas aux criminels"
Père d'une bande-dessinée SF rock'n'roll et sombre, Philippe Druillet a des racines pourtant bien loin de son image. Car l'auteur La Nuit, qui évoquait le cancer de sa femme Nicole, décédée à 30 ans, porte un héritage pas vraiment comme les autres. Sur le livret de famille, côté père, on retrouve ainsi Victor, un ancien chef de la milice dans le Gers condamné à mort par contumace à la Libération et qui dénoncera Lluís Companys, le Jean Moulin catalan, aux franquistes. Côté mère, il y a Denise, responsable administrative de la milice, dont les héros se nomment Franco et Pétain et décédée en 1990.
Des parents pas comme les autres contre lesquels Philippe Druillet s'est toujours élevé et révolté. Sans surprise, ils ne sont donc pas épargnés dans le livre. Car "aucun pardon" n'est possible selon le dessinateur, malgré le lien qui les unit. "On ne pardonne pas aux criminels", confie-t-il au Parisien. "Je sais que cette haine peut être difficile à comprendre. Mais on n'est pas toujours bien né... Je suis humaniste. Je ne peux pas admettre que l'on puisse construire sa vie sur la destruction de l'autre", ajoute celui que ses parents ont prénommé ainsi en homme à Philippe Henriot, ministre de la Propagande de Vichy, tué le jour de sa naissance en 1944 et ami de son père.
"Cette histoire m'a emmerdé toute ma vie"
Ce n'est toutefois qu'à l'aube de ses 70 ans que Philippe Druillet a choisi de parler et de se délester de ce boulet. Un soulagement tardif mais inévitable. "J'arrive à un âge où il y a des choses à dire ! Cette histoire m'a emmerdé toute ma vie. Il fallait que je lâche la bombe. Je suis arrivé au bout du chemin initiatique", justifie-t-il. Car pour comprendre l'homme derrière le dessinateur, il fallait évidemment revenir quelques pages en arrière. "Pour parler de ma vie, il fallait bien parler de mes racines. Cela se retrouve aussi dans mon travail. (...) J'ai passé ma vie à essayer d'être le contraire de ce que je suis né", explique l'artiste, qui raconte également ses nombreux excès, dont la drogue ou l'alcool. Car ce combat contre ce passé aura tout de même laissé quelques traces, à découvrir dans ce Délirium.