Quelque part entre une porte vers les étoiles (Stargate) et les mammouths préhistoriques (10 000), Roland Emmerich a certainement détruit à lui-seul la majorité du patrimoine culturel mondial. En vingt ans et sept films monumentaux, il a repoussé les limites de l'imagination jusqu'à atteindre le seuil de 2012, où la planète entière échappait de peu à l'apocalypse.
La logique aurait voulu que le réalisateur s'attaque à une épopée de science-fiction où un gigantesque trou noir menaçait notre système solaire, mais Roland Emmerich préparait un film plus diabolique encore. Sans écran vert ni effets spéciaux, Anonymous s'intéresse à la théorie selon laquelle William Shakespeare est une farce, un leurre camouflé derrière un "nègre" de génie à la plume irréprochable : "C'est une théorie qui s'est imposée ces cinquante dernières années via des écrivains, des chercheurs qui n'arrivaient pas à comprendre comment Shakespeare, débarqué de la campagne la plus profonde, puisse avoir une telle maîtrise des usages et des codes de l'aristocratie dans ses pièces".
Alors que le film provoque une petite taulée depuis plusieurs mois, le cinéaste hollywoodien aborde sa carrière dans le magazine Têtu. Car ce qui choque avant tout, c'est le grand écart entre ses blockbusters à 200 millions dollars et ce film d'époque à seulement 30 millions de dollars : "Pour moi, ces deux choses ne sont pas connectées. Ces films mettent en scène des catastrophes inimaginables qui font appel à des prouesses technologiques. J'aime ce cinéma à grand spectacle, mais dans Anonymous, j'ai vraiment mis une autre partie de moi."
Car derrière le cinéaste, il y a l'homme. En l'occurrence, Roland Emmerich n'a jamais caché son homosexualité dans un paysage hollywoodien encore frileux à ce sujet : "J'ai toujours voulu être honnête sur qui je suis. Je me fous de l'avis des autres tant que cela n'empêche pas de vivre. Mais oui, j'ai remarqué que ce 'fichu placard' compte encore pas mal d'écrivains, de réalisateurs et d'acteurs".
Si le réalisateur d'origine allemande affirme que les studios ne sont plus homophobes, il ajoute "comprendre qu'un acteur cache son homosexualité. (...) Votre business consiste à faire croire et faire semblant. Un acteur, c'est une toile blanche, il doit être ce qu'on projette sur lui. (...) Et puis, lever le voile sur sa sexualité pourrait lui faire perdre le soutien des jeunes filles qui composent une large partie de son public..."
Il ne se passe pas un mois sans que l'homosexualité ne fasse couler de l'encre à Hollywood. George Clooney et Hugh Jackman abordent notamment les rumeurs qui les entourent avec plus ou moins d'humour, alors que Mathieu Kassovitz lâchait récemment dans une interview qu'il attendait le coming out de Vin Diesel. Du côté des actrices, Michelle Rodriguez refuse catégoriquement de répondre aux questions sur sa vie intime mais déplore l'étroitesse des esprits dans le milieu. Lindsay Lohan, Evan Rachel Wood, Anna Paquin ou Zachary Quinto évoquent leurs sexualités dans les médias, mais font encore figure d'exception.
Roland Emmerich reparle d'ailleurs de Taylor Lautner, qui affrontait les rumeurs de son homosexualité après une rencontre avec le réalisateur Gus Van Sant, ouvertement gay : "Quand on est aussi beau garçon que lui, tout le monde pense, à un moment ou un autre, que vous êtes homo... Même moi je me suis posé la question à son sujet !"
S'il avoue avec humour être jaloux de ne pas avoir pu réaliser Harvey Milk, qui retrace la vie de l'activiste gay assassiné, Roland Emmerich parle plus sérieusement d'une idée pour la suite d'Independence Day, qui flotte depuis quelques années : "Ce que j'aimerais, c'est tomber sur un script dans lequel je puisse intégrer une histoire entre deux hommes qui s'aiment. Par exemple, pourquoi ne pas inclure une belle relation amoureuse entre deux garçons dans la suite d'Independence Day ?" Ce serait en tout cas une belle preuve que quelque chose d'important se passe à Hollywood.
Geoffrey Crété
Retrouvez l'interview de Roland Emmerich dans Têtu, janvier 2012.