Ebranlé par le printemps arabe, le royaume de Bahreïn attend à présent les conclusions, prévues pour le 30 octobre, de la Commission d'enquête royale indépendant diligentée fin juin par le roi Hamad bin Isa Al Khalifa pour éclaircir les faits de cette période. A la suite du Mouvement du 14 février et de la répression forcenée commandée par le gouvernement (et appuyée par la loi martiale et l'état d'urgence décrétés le 15 mars) - désireux d'endiguer l'insurrection après avoir vu les exemples tunisien et égyptien -, le soulèvement pacifique, motivé par des enjeux sociaux et démocratiques (dont la réécriture de la constitution et l'égalité réclamée par les Chiites, et l'abdication du roi Hamad, réclamée après le massacre de la place de la perle), s'est soldé par des dizaines de morts et des centaines de blessés dans les deux camps, ainsi que plus d'un millier d'arrestations, des décès en prison, des procès, des actes de torture.
Et l'organe d'investigation a du pain sur la planche, avec l'émergence de témoignages embarrassants de prisonniers politiques. Certains d'entre eux, rapportés ces dernières heures, accusent même nommément une membre de la famille royale de torture : la princesse sheikha Noora bint Ibrahin al-Khalifa, cousine supposée de la reine Sabika bint Ibrahim al-Khalifa (épouse du roi Hamad et mère du prince héritier Salman), qui oeuvrait sous couverture pour la brigade des stups du pays.
Les allégations proviennent de médecins - de l'hôpital Salmaniya de Manama, où les blessés des émeutes arrivaient - emprisonnés durant la vague de protestation, dont certains ont déjà écopé devant le tribunal militaire de lourdes peines de prison pour avoir soutenu les insurgés contre le gouvernement et la famille royale. Brutalité avec des tuyaux, électrocutions, sévices pour obtenir de force des aveux, leurs accusations remettent le royaume face à sa pratique coutumière de la torture, que le roi Hamad, lors de son accession au trône en 1999, s'était engagé à combattre afin de ne plus enfreindre la convention internationale de l'ONU en la matière...
Roula al-Saffar rapporte comment ses tortionnaires tentaient de lui faire avouer une conspiration contre le régime à coups de câbles et d'électrochocs.
Nada Daif, kidnappée chez elle à trois heures du matin par des services de sécurité en civils et condamnée à 15 ans de réclusion pour avoir soignée des manifestants, admet avoir eu les yeux bandés pendant les sévices, mais se souvient que la femme, la seule dans la pièce, était appelée sheikha par les geôliers : "A la fin de l'interrogatoire, elle m'a enlevé le bandeau et je l'ai reconnue." Et de détailler : "Elle m'a frappée, m'a battue et m'a traitée de saloperie de Chiite. Elle a mis un cable dans mes oreilles et m'a envoyé des chocs électriques."
Une autre détenue, Fatima Haji, 32 ans, condamnée à 5 ans de prison, raconte que la princesse Noora a fouillé le contenu de son Blackberry et découvert un e-mail envoyé au conseil des droits de l'homme au sujet de son renvoi de son travail : ""Comment oses-tu détruire l'image de mon pays", hurlait-elle. Puis elle m'a électrocuté au visage." Fatima Haji se plaint d'avoir temporairement perdu la vue suite aux chocs électriques, mais aussi d'avoir été agressé sexuellement par ses gardes, ce que d'autres détenues ont également affirmé.
Ayat al-Qurmuzi, une étudiante et poétesse de 20 ans qui avait été condamnée à un an de prison pour avoir lu un poème contre la famille royale, et relâchée en juillet par le roi en signe de bonne foi, passe pour avoir elle aussi été torturée.