Maître de la cuisine, plus jeune cuisinier double-étoilé, Alain Passard est une légende des fourneaux. S'il maîtrise aujourd'hui l'art de mettre en valeur les légumes dans son établissement de L'Arpège où il affiche trois étoiles, il est également un passionné de chute libre. Une activité dans laquelle il voit des similitudes avec la cuisine...
"Le grand 8"
"En cuisine comme dans le ciel, nous devons être des danseurs étoiles." Ces mots, Alain Passard les écrit dans le magazine Challenge en évoquant sa passion pour la chute libre, découverte grâce à son père. Il partage "l'impatience, la curiosité et l'appréhension" qu'il ressent le jour de son premier saut, à 18 ans, dans le cadre de son service militaire. "Je considérais cela comme un manège. Le grand 8", lâche-t-il, tout en confiant qu'il aurait "préféré avoir deux ailes que deux bras", lui qui "adore les oiseaux" et a rêvé de voler.
"J'ai fermé les yeux en sautant de l'avion, et la voile s'est ouverte tout seule, instantanément. La deuxième fois, on faisait moins les malins, certains ont refuser de sauter. Mais je me suis pris au jeu de cette sensation presque indescriptible", raconte-t-il à propos de ses premiers sauts. Puis rapidement vient la chute libre, "à Château-Thierry, au-dessus du vignoble champenois", tout un symbole pour le futur chef trois étoiles de L'Arpège. Une chute à 200 km/h d'une minute qui lui procure "une ivresse" certaine. Alain Passard raconte ces moments passés dans le ciel à faire de la voltige en solo, ou ces instants partagés avec d'autres sauteurs, à enchaîner les figures. Et à chaque fois, le même sentiment : celui de voler. "L'atterrissage aussi, c'est la beauté du geste, la grâce, l'élégance", souligne-t-il, lui qui réalise jusqu'à dix sauts par jour. "Cela m'apporte beaucoup d'enthousiasme et de créativité. La chute libre est une feuille blanche, je repars à chaque fois de zéro. Je suis dans un autre élément, je me débarrasse des soucis de la semaine", poursuit le cuisinier qui a banni la viande rouge de son établissement pour se consacrer aux légumes.
Hublot, parachute et millefeuille
Et le ciel est sans doute le meilleur endroit pour manger selon le chef : "Je pense qu'un hublot est la plus belle terrasse du monde. J'adore manger dans l'avion : un saut, pour moi, c'est un vol-au-vent aux asperges et aux morilles !" Avec 1 000 sauts à son actif, Alain Passard a des souvenirs plein la tête. "Le dernier jour de ma vie, je penserai encore à ces moments-là. Comme mes jardins potagers et mon verger, la chute libre est un compagnon de route, un partenaire de vie", écrit-il, comparant le saut et la cuisine : "Cela demande une bonne condition physique, une maîtrise de soi et des gestes précis." À en croire ce cuisinier d'exception, la chute libre lui apporte "énormément" dans sa façon de gérer ses équipes : "De la créativité dans le vocabulaire, de la douceur, car je suis apaisé quand je rejoins le plancher des vaches."
En amont du saut, le parachute. Et une étape primordiale, le pliage du parachute, qu'Alain Passard compare à une création culinaire : "Un bon pliage permet de partir l'esprit tranquille : les suspentes se déploient bien parallèles, sans twist, ni torsade. C'est comme confectionner un millefeuille : chaque morceau de toile est un pétale à manipuler avec délicatesse."
Sauter pour mieux cuisiner, une maxime qu'a fait sienne le chef trois étoiles...
Alain Passard et sa passion de la chute libre sont à retrouver dans Challenges du 5 mars 2015