Poupée de luxe, poupée de soi... "Elle est tout et rien, et en même temps elle est au maximum. En tout cas, c'est impossible de ne pas y croire." Irréductible par nature, insaisissable par volonté, insatiable dans ses désirs, la génération Y, celle des 15-35 ans hyperconnectés, a fait cette année l'objet d'une audacieuse tentative de radiographie en plein vol, et même, dans l'élan, une tentative d'incarnation...
Portraiturer les Yers, quel luxe !
Connu, sous son identité d'accoucheur des esprits de Darkplanneur, pour avoir aiguillé dans des introspections inespérées nombre de personnalités passées par son Cabinet des curiosités, fussent-elles taiseuses (Matthieu Chedid) ou en apparence inaccessibles (François Hollande), Eric Briones a consacré toute son expertise ès marketing et sa passion savante des tendances à ce décryptage en règle. Directeur du Planning Stratégique de l'agence Publicis EtNous (élue Agence de communication Luxe de l'année 2013), spécialiste notoire des questions de communication, ausculteur fin et inlassable du luxe et du digital, il s'est attaché la collaboration du créatif Grégory Casper, enfant de la pub et partie prenante de la GenY, pour mener les investigations, collecter les contributions, et rassembler les fruits de ce travail minutieux dans La Génération Y et le Luxe, un ouvrage disponible aux éditions Dunod. Déjà une référence, largement adoubée dans le bocal du milieu (Jacques Séguéla, contributeur du livre, confirmera !) et dans la sphère médiatique.
Nul besoin d'être peu ou prou éduqué ou sensible au marketing, ni même d'être nécessairement l'un de ces digital natives, pour apprécier la pertinence de cette étude copieuse et vivace, qui, fruit de trois ans d'un travail collégial, conjugue portrait de ces "geeks du luxe" rebelles aux codes (un paradoxe parmi d'autres), interviews, outils stratégiques et même un cahier de tendances illustré par des cas pratiques et commenté par des Yers en personne. "Je me suis doté d'un groupe de vingt Y, souligne Eric Briones dans un entretien avec Mandor. Ce groupe Y a été un gueuloir. Flaubert avait une salle où il gueulait ses phrases et si elles sonnaient justes, il les écrivait. Avec Grégory, nous gueulions nos concepts auprès de ces 20 Y. Si c'était bien, parfait, si c'était nul, ils nous les renvoyaient dans la gueule. Il y a dans ce livre un sens aigu d'échanges et de participations (...) Ce n'est pas un élément marketing, c'était la condition sine qua non pour que l'on soit juste."
Le sens de ce qui est juste, au sein de l'observatoire créé par Eric Briones, n'est pas un vain principe : population évanescente et incandescente à la fois, la génération Y, dont l'appétit dévorant pour le luxe avait précédemment été mis en évidence par une étude Ipsos publiée en 2011, souffre d'être caricaturée autant qu'elle aime à être reconnue dans sa singularité et dans sa manière "fusionnelle" de s'approprier l'objet de sa convoitise. "Les Y ne se retrouvent pas dans les portraits médiatiques que l'on fait d'eux. Ils ne sont pas d'accord avec l'idée qu'ils sont victimes de la crise, constate encore Eric Briones, considérant que 80% des Y interrogés pensent qu'il n'est pas choquant d'acheter du luxe, même en période de crise. Ils ne sont victimes de rien et sont acteurs de tout. Il y a une méfiance de cette génération dès qu'on parle d'elle. Si la génération Y est caricaturée, nous, on la décaricaturise. Les jeunes de cette génération sont des rebelles. Des rebelles avec une cause. Ils rentrent dans le système pour essayer de le détourner à leur propre effet. Il y a un tel désir d'action chez eux qu'ils n'ont aucun problème à créer leur entreprise dans l'univers luxe, mode et beauté."
Ydoll, le visage d'une génération classée X à un instant T
Publié au printemps dernier, La Génération Y et le Luxe, qui a depuis bénéficié d'un second tirage après avoir dominé cet été les ventes du secteur (Fnac, Amazon...), n'est "que" la première pierre (mais la pierre angulaire) d'un faisceau pédagogique : "Je veux faire comprendre cette génération par un bouquin marketing, un film, une bande dessinée... finalement par tous les moyens artistiques", annonce son instigateur.
Un court métrage mettant à contribution diverses personnalités (beaucoup d'amis de Darkplanneur) en a d'ailleurs déjà été tiré. Librement inspiré de l'ouvrage et écrit par Stéphanie Edwards, Ydoll brosse le portrait de Doll, jeune femme de la génération Y, par le prisme de son entourage, avant de donner à entendre sa propre parole, indomptable, implacable. Farouche et chiquée en couverture de La Génération Y et le Luxe, la troublante Anaïs Duquesne, muse d'Eric Briones, incarne cette héroïne, artiste qu'on rencontre au soir de sa première expo. "Garce" selon son frère spolié, joué par Andy Picci, "torturée" d'après son boyfriend que campe le comédien Aurélien Wiik, "atrocement banale" de l'avis de son psy réac' (Ariel Wizman), "jetlaggée de la vie" aux "capacités d'intégration limitées" pour son patron (Oxmo Puccino), "égoïste" mais "généreuse" aux yeux de sa meilleure amie (Kenza Sadoun)... "Elle a compris notre époque, que tout le monde est potentiellement un p*tain d'enc***, avant qu'il prouve le contraire", affirme son pygmalion (Fabrice Brovelli).
"Sociopathe, fatiguée d'avance, star, névrosée, princesse, jalouse, perverse, intriguée, curieuse, actrice, discrète, tsunami, nucléaire, pas square" : archétypaux, caricaturaux, ces intervenants, qui n'existent que dans la lumière reflétée par Doll, la perçoivent de manière caricaturale. Elle n'est pas dupe : "Évidemment, tout le monde a son avis sur moi. (...) Je suis cette petite poupée sur laquelle on projette tout et n'importe quoi. Je leur en donne pour leur argent, et c'est ce qui compte. (...) Après tout, tout ce que je veux, c'est échapper à cette petite vie. L'anonymat, ça m'angoisse (...) Il y a deux types de personnes dans la vie : les anonymes, et ceux qui brillent. Moi, je veux être dans la lumière." Tout ce qui brille, le motto générationnel.
Être une Y-doll ; une idole, en somme.
Car cette génération qui a massivement érigé le luxe en ambition ("C'est une médaille, un signe de réussite et elle en est fière") est scrutée par ses contemporains. Ses désirs sont des ordres ; son mode de vie, un modèle ; ses aspirations, l'horizon. "Aujourd'hui, la valeur jeunesse est primordiale", insiste Eric Briones dans un entretien avec VisionMarketing, produisant l'exemple vertueux de Michael Kors et sa stratégie d'incitation du shopping mère-fille. D'où la nécessité pour les marques du luxe de comprendre cette cible qui tient l'avenir à la pointe de la carte bancaire. Or, les digital natives se sont forgé une solide culture générale (grâce notamment aux outils digitaux), et une exigence à cette aune. Finie, l'ère (peu) glorieuse du masstige (la rencontre, durant la fin du XXe siècle, du marché de masse et du prestige) : transparence ("la génération Y demande au luxe de justifier ses prix"), anti-gaspillage ("le luxe connecte les jeunes au temps long, eux qui sont dans l'instantanéité") et développement durable ("la notion de non-profit") régissent cette relation fusionnelle et obligent les maisons de luxe à se remettre en cause. Car bien que "le luxe repose sur le mystère et non sur la preuve, (...) la génération Y est sans cesse en demande de réassurance de la part des marques de luxe."
Un fair deal dont l'authenticité est fondamentale, car il sera total ou ne sera pas. "Les réseaux sociaux, analyse encore Eric Briones, c'est la clé de voûte. Celle par laquelle la génération Y se reconnaît. On dit qu'elle est narcissique. Mais elle se revendique communautaire. Pour elle, 'Je, c'est Nous'. Le réalisateur Xavier Dolan, par exemple, un de ses représentants, explique qu'il parle au nom des jeunes. Facebook a certainement contribué plus que le web à standardiser les valeurs partagées par cette génération. (...) Aujourd'hui, on a passé le cap de la télé-réalité des débuts. Une nouvelle tendance s'affirme : celle du 'Fit and Stand out'. Autrement dit, 'je m'intègre à ma communauté, mais je m'en différencie, voire j'en suis la star'."
Une expérience en temps réel et empirique à prolonger - avant l'irruption de la génération Z - avec l'ouvrage La Génération Y et le luxe, sur la page Facebook officielle du projet (où vous pouvez découvrir ce jour les échos de l'événement ImagYnarium organisé mercredi), et sur Darkplanneur.com.
G.J.