Les sommets du glamour à la mode de Monaco, les bas-fonds du banditisme à la sauce calabraise : rien n'est trop beau ni trop tabou pour Beatrice Borromeo. Aristo décontractée à la grâce solaire et à la coolitude exquise au bras de Pierre Casiraghi, neveu du prince Albert II de Monaco, la belle Italienne, qui fêtera le 18 août son 29e anniversaire, ne signe pas de coups d'éclat que lors des grands rendez-vous du Rocher et les soirées de prestige milanaises. Loin s'en faut. Redoutable journaliste d'investigation, à l'écrit (pour Il Fatto Quotidiano, Newsweek et The Daily Beast) et en télévision, elle trace son sillon professionnel sans publicité intempestive, mais avec la force d'un sacerdoce : "Je veux que mon travail ait un impact sur la société", revendique dans l'édition du mois d'août de la revue L'Officiel celle qui est allée jusqu'à infiltrer la mafia. Elle aurait pu se contenter d'être bien née et bien faite de sa personne ; elle est brillante et a la feu sacré.
Pour le mensuel parisien de la couture et de la mode, Beatrice Borromeo accepte de quitter son jean et ses boots de prédilection le temps d'un shooting sensationnel qui la transforme en mannequin Giorgio Armani : l'immensité bleue de son regard, d'une franchise envoûtante, la gourmandise de ses longues lèvres rougies façon pin-up, l'attraction de cette assurance dénuée d'arrogance qu'elle dégage... "C'est ma première séance depuis très longtemps", se défend-elle malgré sa photogénie évidente, sa mère créatrice de mode et ses affinités avec sa belle-soeur Marta Ferri, styliste qui a épousé son frère Carlo en 2012 et qui l'habille systématiquement pour sa participation au Grand Prix de Monaco. Quant à son lien avec la maison Armani, elle qui assure "ne pas suivre la mode" : "Depuis quelque temps, elle m'habille pour des occasions spéciales, je trouve que leurs créations me correspondent."
Paraître fait partie du jeu, qu'elle joue avec aisance, mais on sent bien que, dans sa conception des choses, la vie, c'est agir. Elle ne parlera pas, logiquement, de sa belle histoire d'amour, entamée il y a six ans, avec Pierre Casiraghi, 27 ans en septembre, fils cadet de la princesse Caroline de Hanovre, sinon pour dire : "C'était insupportable au début [l'attention médiatique], maintenant ça va, nous ne sommes plus un scoop, nous sommes ensemble depuis six ans. (...) Je ne suis jamais saisie dans une situation embarrassante car j'ai une vie normale." Jargon ("scoop"), style précis, esprit de synthèse : on retrouve dans ses paroles la posture et la vocation journalistiques. Ici comme dans tout le reste de cet entretien accordé à la journaliste Frédérique Dedet et très justement intitulé "Profession : reporter", dès qu'elle s'exprime, ses mots vont à l'essentiel. Déformation professionnelle.
Famille, je t'aime
Même lorsqu'elle doit éduquer son interlocutrice à son histoire familiale un peu particulière, quatre phrases concises et bien tournées, comme prononcées par un témoin extérieur à la situation, suffisent. "Vous ne connaissez pas l'histoire de ma famille ?", s'étonne-t-elle alors qu'on aborde le sujet de son récent (ré)emménagement à Milan. Et de faire le récit des événements : "Mon père [Carlo Borromeo, comte d'Arona, NDLR] était marié avec la mère [Marion Zotta] de mes grandes demi-soeurs Isabella [née en 1975] et Lavinia [1977], il est tombé amoureux de ma mère [Paola Marzotto], ensemble ils ont eu mon frère Carlo, puis il a eu un retour de flamme avec sa première femme dont le fruit est ma demi-soeur Matilde [1983]... Ma mère l'a sommé de choisir, ils se sont retrouvés et je suis née en août 1985. Après quelques années, ils se sont séparés à nouveau et mon père est retourné avec la mère d'Isabella, Lavinia et Matilde... Une situation gérée avec intelligence et amour par tous les protagonistes, nous sommes cinq enfants très unis." À ce propos, elle signale, après avoir vécu à Rome depuis 2006 puis être partie à New York pour étudier le journalisme et les relations internationales à l'école de journalisme de l'Université de Columbia : "Je suis si contente de m'être rapprochée de mes soeurs, de pouvoir voir mes neveux et nièces [Lavinia est à Turin, et Carlo et Matilde à Milan]."
"Mon journalisme engagé n'est pas forcément du goût de mes proches"
Fille de bonne famille, fille aimante, mais femme moderne résolument. "Je ne conçois pas la vie sans travailler, je ne demande plus rien à mes parents depuis des années, je paie mes factures et mon loyer. (...) Quant à mes ancêtres, je ne suis en rien responsable de leurs actions, qu'elle aient été ignobles ou héroïques. Je n'en tire ni honte ni gloire", pose sensément Beatrice Borromeo, qui descend d'une puissante maison (marchands et banquiers) fondée au XIVe siècle. Venue au journalisme pour "l'adrénaline du scoop" et "l'envie de changer les choses", elle n'a pas tardé à s'illustrer dans les deux registres : suite à son premier reportage télé, mettant en exergue le problème d'amiante critique ("beaucoup d'enfants nés là-bas n'ont pas atteint l'âge adulte, terrassés par des cancers") d'une cité milanaise, les bâtiments ont été détruits et les familles relogées. "La télévision est une arme fatale", constate-t-elle.
Très véhémente envers ceux qui l'ont taxée d'avoir obtenu son premier job du fait de son nom ("un comble car mon journalisme engagé n'est pas forcément du goût de mes proches") et envers les "torchons italiens (...) qui attaquent [s]a crédibilité", Beatrice Borromeo se souvient comment elle a commencé par écrire pour éviter l'exposition du petit écran, rejoignant le Fatto Quotidiano dès sa fondation, en 2009. "En peu de temps, il est devenu incontournable et l'un des journaux les plus vendus du pays. Maintenant, j'estime avoir fait mes preuves et je peux assumer faire de l'antenne", s'enorgueillit-elle à bon droit.
L'autre "famille" : sueurs froides...
Audacieuse et de toute évidence solide, celle qui "irait bien faire un tour en Corée du Nord rencontrer Kim Jong-un" et "a été à deux doigts d'interviewer Kadhafi" (son "immense regret") a récemment été en immersion dans la mafia calabraise, qui "a le monopole du marché de la cocaïne en Europe" pour un chiffre d'affaires de 40 milliards d'euros par an. Une enquête qui demande du sang-froid... "Étant italienne, je sais depuis toujours que la mafia est infiltrée dans beaucoup de milieux et particulièrement en politique. Devenue journaliste, j'ai eu à coeur d'enquêter sur le sujet. Mama Mafia a été long à monter. Outre le financement, il a fallu gagner la confiance de ces femmes. (...) Dans la mafia calabraise, elles sont décisionnaires. C'est un monde de godmothers. (...) J'ai interviewé la godmother de 90 ans, me faisant passer pour une amie de sa petite-fille avec un micro caché dans mes vêtements. Quand elle a insisté pour me montrer l'article épouvantable écrit sur sa petite-fille par une horrible journaliste, j'ai eu chaud, elle faisait référence à un de mes papiers, paru dans Newsweek..."
Décidée à jouer un rôle, Beatrice Borromeo, sous ses apparences de jolie jeune femme pleine d'insouciance, a une conscience aiguë et se tient droit dans ses boots. "Même et surtout quand j'écris sur des scandales, des injustices, sur la mafia, je n'ai jamais l'impression de discréditer mon pays, je l'aime."